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Le lien et ses fantômes…

D’ici peu, chacun aura son « ghost » et son « ghosté» ! Le ghosting est la nouvelle donne relationnelle qui s’est développée au Etats-Unis et, le phénomène fait son lit hexagonal. Le ghosting est le fait de mettre fin à une relation amoureuse, mais aussi amicale ou familiale, et désormais professionnelle, en ne donnant plus aucune nouvelle à la personne concernée. Plus de réponses aux appels reçus, plus d’appels, rien de rien. Entre les rencontres en ligne et l’usage des messageries instantanées, le phénomène ressemble bien à un marqueur de la société dans laquelle nous vivons. Tentons un pas de côté. De quoi « ghosting » est-il le nom ? 

Une version contemporaine de la « lâcheté » qui fait que l’on ne rompt plus, mais où on « joue aux fantômes » et on se « contente de disparaître ». A l’évidence, le ghosting est une pratique vivement condamnée par quiconque l’a vécu. L’absence d’explications, de signes de vie, et tout simplement, l’expérience de l’absence en tant que telle, brute, sans aucun angle arrondi, peut faire basculer tout un chacun dans le désespoir. Pourtant, cette condamnation unanime empêche de voir le possible bénéfice de cet acte violent qui n’est autre que l’indépendance dont chacun peut faire preuve, sans avoir à se justifier et sans imposer à l’autre des arguments fumeux. On peut voir dans le « ghosting » une lâcheté, mais paradoxalement, n’y a-t-il pas aussi une forme de courage à se passer du regard de l’autre, à prendre le risque et à assumer même d’être désapprouvé, haï ? Ne peut-on pas envisagé également une forme d’honnêteté vis-à-vis de soi et de la personne quittée : non, je te quitte et je n’ai rien à en dire, ni banalités ni monstruosités ? Certains peuvent trouver une libération dans ce simple fait de disparaître, sans crier gare, sans devoir rien à personne, sans tenter de trouver en soi, par une introspection longue et pénible, les raisons, souvent indicibles ou fabriquées, de l’ennui et du désamour. Rompre le lien est encore une façon de parler du lien et, la façon de rompre le lien évoque sans doute, les nouages par lesquels le lien s’est tissé.  Difficile de ne pas penser à la violence du ghosting, de la forme radicale qui en est sa caractéristique. Mais la violence ne procède t’elle pas de la rupture elle-même ? Pourquoi faudrait-il adoucir les angles et trouver des explications ? Que peut-on justifier, c’est-à-dire rendre juste, que peut-on raisonner, c’est-à-dire rendre raisonnable, dans ce qui dépasse l’entendement et la justice ? Le ressort du « ghosteur » se situe là pourquoi rendre les choses propres ? Au fond, le problème n’est-il pas là ? pas dans le fait qu’il y ait des règles, des usages, de la politesse, du respect, et qu’on les bafoue, mais dans cette idée que tout, même le pire, à savoir rompre, disparaître, anéantir une relation, doive avoir une raison, une cause, une justification, une explication, et se laver ainsi de tout soupçon. Et, étrangement, l’ère du soupçon qui ne se nourrit que de cela, ne supporte pas qu’il en reste entrainant alors, la fin dans un mouvement infini…

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2021