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« Black Friday », noir c’est noir…

Vous n’avez pas pu passer à côté, le « Black Friday » annoncé à grand renfort de communication et de marketing pour son jour fétiche de fin novembre a été reporté de quelques jours. Le voilà donc lui aussi confiné-déconfiné. Le vendredi noir est encensé ou dénoncé chaque année pour des raisons d’ordres multiples : écologiques, idéologiques, politiques… et plus que jamais économiques pour ne pas dire compétitives pour cette édition. Mais avec le « vendredi noir » de quelle noirceur s’agit-il ?...

Venue d’outre atlantique, ce qui est devenue une « tradition » très américaine s’est développée au cours des années 60, et a commencé à s’installer en France (avec son acolyte Halloween), il y quelques années. Là-bas, le « vendredi noir » repose sur une idée et une action simple : foncer dans les magasins, au lendemain de Thanksgiving, pour y faire des économies folles. Du reste, cette journée est aussi nommée « vendredi fou », phénomène qui a, justement, un succès fou, comme le montrent les images de foules en délire, où la civilité est abolie… mais c’était avant la Covid 19. A prix fous, succès fou, mais également folle inquiétude. Car en plus de ces vidéos et photos qui tournent depuis des années sur le sujet, nous pouvons lire de nombreux articles dénonçant, parfois analysant ces scènes de fureur, qui seraient révélatrices des instincts de consommation les plus vils. Une nouvelle pulsion de consommation que Freud n’aurait sûrement pas démentie ! Pour nombre de commentateurs, ce vendredi noir ne serait autre que la mise au jour symbolique d’un système capitaliste devenu fou et d’une planète menacée par nos folles mauvaises habitudes. Ainsi, le « Black Friday », c’est mal et même c’est « le » mal…. Mais pourquoi tant focaliser sur ce phénomène ? Serait-il finalement plus mauvais qu’un autre ?  Plus mauvais que ces foules pressées qui, elles aussi, justifient très bien leur course effrénée, par l’appât du gain, le simple plaisir des bonnes affaires, ou par les lois de ce monde sans pitié. Alors pourquoi tant de passion ? Qu’est-ce qui, dans ce « Black Friday », semble autant fasciner ? Avançons que le « Black Friday » serait comme le condensé, en une journée, en certains lieux, d’un système global économique, politique, écologique qui va mal. Mais mieux qu’un condensé, il serait un révélateur de l’Homme. Révélateur effrayant, inquiétant, affolant de la potentialité et de la virtualité du mal en l’Homme. Cette face obscure, noire qui en une journée, en certains lieux, et à la faveur d’une occasion, se trouve actualisée dans des passages à l’acte d’achats. N’est-ce pas cette « force obscure » qui sous-tend l’essentiel des critiques : une peur de la nature immorale de l’Homme. Le mal, ici incarné et représenté par un « vendredi noir ». Dans ses réflexions sur le mal radical, Kant aboutissait à la conclusion que le mal est une des racines de l’Homme soit de tout homme. Le mal est alors radical, non parce qu’il prend une forme passionnelle extrême, mais parce qu’il est universel. L’illusion est de penser que l’on peut y échapper à regarder les autres s’écharper, se déchaîner, et de penser s’en excepter. Chacun abrite son « Black Friday », l’essentiel est d’être attentif à sa présence chez les autres, en étant tout autant lucide sur le sien. Alors, basculerons-nous du côté de la force obscure ?

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2020