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Vous avez dit dilemme ?

L’actualité a mis en lumière ces derniers jours ce qui est une caractéristique essentielle de la condition humaine ; celle de décider. Car c’est l’apanage de l’être parlant, de l’être de langage que de s’y inscrire.

Des décisions, nous en prenons chaque jour bien qu’elles ne soient pas d’égale importance et que leurs conséquences puissent s’avérer insignifiantes. Il est de ces décisions difficiles à prendre, précisément parce que leurs effets sont impliquants. Il est des décisions qui s’imposent d’elles-mêmes… Au rang des difficultés décisionnelles, le dilemme va alors occuper une place de choix. Sur ce plan, la situation du désormais ex-ministre de l’écologie offre une matière à penser ce que « décider » veut dire. Le dilemme pose un problème insoluble, engage des enjeux moraux et n’offre aucune issue favorable. Aussi, comment rendre compte de la tension autour de laquelle il se noue ? La référence Max Weber s’impose. Elle éclaire singulièrement la tension sous-jacente au dilemme. Pour le sociologue allemand ce qui différencie le savant (nous pourrions dire dans les mots d’aujourd’hui, l’expert) du politique dans la mise en œuvre de leur responsabilité respective se comprend au travers des deux notions : l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité qui ont été formulées dans un texte intitulé « Le Savant et le Politique ». L’éthique de conviction signifie pour le savant que celui-ci agit en fonction de ses convictions profondes, de sa conception du monde et de ce qu’il reconnait comme « vrai ». Le politique se devant, quant à lui, d’agir en fonction de son éthique de responsabilité, sa fonction impliquant qu’il gouverne de manière responsable. Le politique doit s’engager dans la voie des compromis et doit parfois recourir à des procédés discutables moralement du point de vue de l’éthique de conviction. Ethique de conviction et éthique de responsabilité sont bien loin de ne concerner que les responsables politiques. Quelles réponses possibles aux dilemmes que ces deux notions peuvent engager ? L’analyse de Weber est sans appel : il n’y a pas de conciliation possible entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Il n’y a d’autre alternative que la nécessité de « trancher ». Une façon de dire qu’on ne peut pas ne pas y perdre quelque chose.

Éditorial de Philippe Bigot
septembre 2018