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Du contrat à 0 heure au 0 contrat…

Ne perdons pas de vue ceci : nous vivons en Europe dans un espace privilégié, organisé par une vie démocratique au sein de sociétés évoluées. Il y a peu, une des plus vieilles démocraties, l’Angleterre, prenait la cinquième place mondiale au rang des puissances économiques. Et c’est aussi dans ce pays qu’un nouveau type de contrat de travail s’est développé, le contrat à 0 heure. L’idée est assez simple l’employeur propose un contrat sans engagement de durée de travail, en contrepartie, l’employé s’engage à être disponible dès qu’on l’appelle…

Cette forme de contrat ne laisse pas indifférent… Posons l’hypothèse ici qu’il est un symptôme. Un des aspects les plus saisissants apparait : ce contrat est la caricature même de la notion de flexibilité. A ceci près, qu’un seul des deux contractants en supporte la charge. Alors que l’entreprise a besoin de stabilité pour se développer (sans parler de l’exigence de sécurité de ses investissements pour l’actionnaire), nous voyons avec ce contrat, une force centrifuge venir déplacer l’impératif de flexibilité sur les seules épaules de l’employé. L’employeur est engagé sur 0 heure, l’employé est engagé par son contrat à garder sa disponibilité, et, à répondre aux appels de son employeur. Une conséquence se dégage : il y a une dissymétrie absolue dans la relation contractuelle ; le contrat lui-même se présente comme un artifice. L’extrême fragilité sociale d’une partie de la population fait le succès du contrat : mieux vaut un contrat 0 heure qui laisse quelques espoirs que ne rien avoir. Le contrat 0 heure est le symptôme d’une régression qui réinstaure une relation de travail digne du XIXème siècle. Concept moderne, la flexibilité ainsi mise en acte n’est autre qu’une servilité qui ne dit pas son nom. Un rapport de domination se montre ici dans sa forme la plus crue. Le réel est implacable : les personnes ne savent pas le matin si elles travailleront dans la journée ; elles ne savent pas ce que sera leur revenu du jour, de la semaine, du mois ; elles attendent le sms qui leur annoncera leurs horaires de travail et parfois aussi les sms qui quelques heures avant leur prise de poste viennent « l’annuler ». Le contrat 0 heure est le symptôme de la négation même de l’histoire : celle des droits acquis au cours du temps, celle de la condition de l’Homme. Le monde du travail n’a cessé d’être traversé par des forces en mouvement ; que vient porter le contrat 0 heure ? Quelle société vient-il convoquer ? De quel projet de civilisation est-il le nom ? Au 10 Downing Street, on a promis de remédier à cette dérive, les personnes coincées dans ces contrats attendent toujours. Le contrat 0 heure ne devrait être rien d’autre qu’un 0 contrat…

Éditorial de Philippe Bigot
mars 2015