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Crash médiatique…

Nous nous savions vivre à l’heure de l’information toute puissante. Force est de constater qu’elle est progressivement devenue information du temps réel, du temps immédiat et du « direct ». L’événement de cet avion qui s’est crashé dans nos montagnes en est un exemple malheureusement bien concret. Les médias s’y sont précipités, la course a été effrénée pour y être le premier. Avec pour seul enjeu : notre information ?

Place au direct. Lorsque l’événement, de préférence dramatique se produit, chacun aurait un « droit » à l’information. Et le plus court chemin menant à ce « droit » est le direct, l’information en continu. Une information « obsessionnalisée » qui tourne sur elle même jusqu’à ce que le téléspectateur ou l’auditeur, assommé, jette l’éponge. Une autre dimension prend place avec le « direct », cette question est d’ailleurs souvent évoquée par les médias eux-mêmes… à quel moment l’information cède le pas à l’émotion ? Un des problèmes résidant dans la confusion information/émotion. Ainsi donc face à l’événement « en direct » il est fort difficile de ne pas être « embarqué » par un récit à la teneur relative en information. La recette est chaque fois répétée et chaque fois elle marche. A peine arrivés sur les lieux, les journalistes se précipitent sur les autochtones censés savoir quelque chose et, même s’ils ignorent ce qu’ils sont censés savoir, le journaliste saura les faire parler ; quitte à parler à leur place. On convoque sur le champ une ribambelle d’experts. Ils ne savent rien de l’événement mais ils sauront faire des développements théoriques, des spéculations. Invités à chaque catastrophe, ils manient le conditionnel comme personne. La montée en puissance médiatique va très vite, exceptée l’évidence, on ne sait rien ou presque et les émissions spéciales s’enchainent sur la plupart des médias : les mêmes images, les mêmes interviews. A peine deux jours se sont écoulés et la cruciale question du coût est posée : combien va coûter le crash ? Les premières estimations tombent. L’outrance devient alors obscène dans un barnum médiatique à en faire oublier le recueillement, la tristesse et l’empathie. Nous voilà emportés par une succession d’images, d’interviews répétitives, de mots qui tournent dans nos têtes : corps déchiquetés, méconnaissables, carlingue pulvérisée… Place aux hypothèses aussitôt transformées en certitudes, aux approximations qui deviennent autant de probabilités. Le (beau) métier de journaliste disparait alors au profit du colportage et de l’obscénité. Se déploie un dispositif exhibitionniste qui ne nous laisse comme seule position celle d’un voyeurisme ; ad nauseam. Si une « société se juge à l’état de ses prisons » pour reprendre la proposition d’Albert Camus, ne pourrions-nous pas la transposer ainsi : une société se juge au traitement de son information et aux pratiques de ses médias ?

Éditorial de Philippe Bigot
avril 2015