Lettre d'information

Les archives de la newsletter de Convergence

Tatouez-vous ?

Impossible de ne pas voir l’omniprésence du tatouage sur les corps de nos contemporains et, cela va de pairs, le nombre exponentiel de tatoueur ayant pignon sur rue. Effet de mode pourrait-on avancer ? Possible.

Mais apparait alors le paradoxe : répondre à l’effet de mode avec un tatouage qui lui va s’avérer permanent. Le mariage de l’éphémère et du permanent. Le tatouage est bien loin d’être une pratique récente, il fut de tout temps le signe d’une appartenance sociale. Réservé au regard de l’intime ou revendiqué à la vue de tous, le tatouage à l’ère moderne semble changer de fonction. Longtemps durant, l’encre du tatouage devait ancrer dans une appartenance à un groupe tout comme il pouvait être le signe d’une exclusion (les criminels, les esclaves, les déportés durant la seconde guerre…). Il a pu et peut toujours être le signe d’un rejet. Celui de la société et de ses normes. Il donne alors forme à une résistance, à une identité et une culture. L’engouement du public pour le tatouage est un marqueur de notre société. Le tatouage perd sa dimension sociale d’appartenance au fur et à mesure qu’il est investi par l’individu. La composante communautaire du tatouage laisse aujourd’hui place à une expression personnelle inscrite dans une logique individualiste. Dès lors, il est destiné à attirer le regard et probablement l’attention sur un corps chargé de dire le désir, la personnalité, l’originalité et finalement la singularité de celle ou celui qui aura enduré la douleur de l’aiguille dans sa peau. La forme renouvelée du « il faut souffrir pour être belle (beau) » ? Il appartient à chacun de se prononcer sur la beauté mais le tatouage vient dire quelque chose d’une recherche d’esthétisation des corps qui est aussi une modalité par laquelle ceux qui s’y engagent cherchent à s’approprier leur corps. Tatouer sa peau, c’est posséder un tatouage sans négliger que c’est tout autant être possédé par lui. C’est possiblement tenter de conjurer l’éphémère du corps par la permanence de ce qui y a été inscrit. C’est imprimer la marque du sujet qui fait de son corps, une œuvre qui par nature est unique, singulière, en conséquence irremplaçable. Le renversement est là. Signe d’appartenance de l’individu au groupe, il est aujourd’hui signe d’appartenance de l’individu à lui-même. Il est aussi signe des temps qu’il ne peut suspendre qu’à procéder d’une illusion, la permanence. Le futur nous dira si « détatoueur » est un métier qui a de l’avenir…

Éditorial de Philippe Bigot
février 2019