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Un monde en uniforme…

La « starbuckisation » du monde, c’est l’uniformisation des modes de vie. C’est l’assurance de pouvoir trouver les mêmes choses quelque soit l’endroit de la planète où vous vous trouvez. L’expression choc est celle de l’écrivain Sylvain Tesson grand pourfendeur de l’uniformisation du monde. Alors les symptômes de l’uniformisation se nomment Starbucks, Nike, Apple, McDo, IKEA, Google… et l’incontournable Louis Vuitton s’agissant de l’uniformisation de classe. Vous nous pardonnerez cette liste non exhaustive. Le pas est vite emboité pour dénoncer la dérive de l’uniformisation. « Tout le monde » se ressemble, « tout le monde » est habillé pareil, mange pareil, pense pareil… et « tout le monde » pense que « tout le monde » est pareil…

Mais le tragique n’est peut-être pas là où on l’attend. Car si vraiment « tout le monde » est comme « tout le monde » et donc que nous sommes tous les mêmes alors le « tous » inclut celui qui pense s’en extraire par la critique de l’uniformisation… Le concert de critiques de l’uniformisation s’avère finalement en lui-même uniforme ! Ainsi ceux qui se pensent les plus originaux à dénoncer la globalisation et la suprématie des marques avec les images qu’elles charrient sont en fait plutôt attendus avec un discours convenu, et ironie du sort, ils participent à entretenir ce qu’ils dénoncent. Car au fond, quoi de plus « évident » que la critique permanente voire radicale de l’uniformisation puisque tout le monde est d’accord sur les dangers de l’uniformisation ? Nous voilà empêtrés dans les contradictions. Comment soutenir l’universalité, la démocratie et rejeter l’uniformisation qui en est le contre-poids ? Comment admettre une économie et une production mondialisées et ne pas reconnaitre l’uniformatisation qui en découle ? Comment vouloir un accès aux biens de consommation pour tous sur cette planète et dénoncer l’uniformisation qui est autre que la consommation des mêmes biens et marques sous d’autres latitudes ? Il semble impossible de se soustraire à ce qui se présente comme un paradoxe des contraires. Alors à la monotonie il faudrait opposer la différence ; au même, l’autre ; à la fusion, la séparation ; au global, le singulier. Ce qui se passe là n’est peut-être pas autre chose que cette incapacité à sortir de soi et à voir l’autre. Il y aurait ici un fantasme sur l’autre qui serait pensé comme « nécessairement différent » sans Starbucks, sans Apple, sans les réseaux sociaux… ? Rien n’est moins sûr, aussi l’uniformité empêche-t-elle vraiment la différence ? Ces questions avaient été observées dès le XIXème siècle par Tocqueville qui tirait deux conclusions inspirantes pour le XXIème siècle. La première serait que croire qu’on va échapper au conformisme est un leurre et la seconde est que les différences se cachent dans les détails et que ces derniers ne peuvent apparaître que sur un fond uniforme. Alors au combat contre l’uniformisation un autre pourrait être substitué : celui en faveur de l’inclusion qui seule permet d’accueillir tout le monde, avec ses petites différences qu’il nous faudra faire vivre ensemble.

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2019