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Pour vivre heureux, vivez flexible…

L’inédit de la situation que nous impose la crise sanitaire mondiale renforce, plus encore, l’impératif catégorique d’adaptation de notre société hypermoderne. Depuis bien des années maintenant s’adapter est à la fois un mot d’ordre, une injonction, une contrainte, une nécessité, un allant de soi, une ressource... L’adaptation est une capacité ontogénétique si l’on s’en tient aux thèses darwiniennes. S’adapter a donc du sens dès lors qu’il s’agit d’autre chose que d’un mantra…

L’adaptation a sa cheville ouvrière : la flexibilité. Un autre terme qui a fait florès avec le chômage de masse. Ainsi donc la flexibilité est omniprésente : flexibilité du travail, du marché, des activités, des horaires, des revenus, de l’éducation, de l’organisation, des individus… Pas un espace n’échappe à cette vérité révélée qu’est la flexibilité. Elle a de surcroit tous les atouts de la modernité : elle est une solution façon couteau Suisse, elle est branchée (car quoi de plus ringard que de ne pas être flexible ?) en étant érigée au rang de qualité. Le monde du travail a besoin de soft skills, la flexibilité est en pole position. N’est-elle pas désirable, a priori, la flexibilité ? A se pencher sur les différentes définitions du mot, qu’il s’agisse de psychologie, d’économie ou de physique, elle se présente comme une souplesse à toute épreuve : c’est le grand écart de la vie, la sortie perpétuelle de la « zone de confort ». La flexibilité est la plasticité de nos corps et de nos psychismes ; elle est aussi l’adaptation en toutes circonstances ; elle est ce qui permet de se sortir de tout, partout et tout le temps. La flexibilité est d’ailleurs devenue un slogan du développement personnel avec sa formule fétiche : « sortir de sa zone de confort ». Quitter son confort (pardon, sa zone de…) c’est faire preuve de flexibilité. Par-delà les discours positivistes sur les nécessités de sortir de sa « zone de confort », nous ne pouvons exclure qu’ils soient devenus une norme induisant une injonction. Peu a peu, sortir de sa zone de confort semble ne plus relever que de la seule motivation individuelle mais d’un impératif sociétal. Mais finalement est-il si facile d’être flexible, et qui plus est, au bon moment ? Chacun à sa façon buttera plus ou moins sur cette question : comment devenir flexible ? Et à être obnubilés par la question du « comment » devenir flexible, nous pourrions passer à côté d’une autre question : pourquoi est-il normal que d’aspirer à être flexible ? Pour quelles raisons la flexibilité qui est une capacité ordinaire et banale est-elle devenue une norme ? Je suis flexible donc je suis… dira le cogito de l’hypermodernité. La flexibilité comme norme et idéal a aussi son paradoxe qui puise aux racines de sa nature. On vante ses mérites jusqu’à en faire la solution à des problèmes complexes alors même que la flexibilité contient aussi, la mollesse, le principe du fléchissement et l’idée corolaire de perdre en force, en vigueur. Car être flexible c’est épouser le mouvement et non lui opposer une force. C’est ainsi se soumettre volontairement à quelque chose qui le requiert, le demande ou l’exige. Alors quand s’arrête la flexibilité comme qualité nécessaire à la vie quotidienne et où commence la flexibilité comme norme sollicitant notre soumission aussi consentie que dorénavant revendiquée ? Aux appels à la flexibilité tout azimut chacun peut prendre une bonne résolution pour 2021, celle de se laisser être…

Au nom de l’équipe de Convergence, je vous adresse tous nos bons vœux pour cette nouvelle année et, je vous remercie pour votre fidélité de lecteur de cette lettre lancée en juin 2004 !

Éditorial de Philippe Bigot
janvier 2021