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La terrible simplification…

La « terrible simplification » a de beaux jours devant elle. Alliée naturelle d’un utilitarisme conçu comme une finalité en soi, elle n’aurait d’autre ambition que de nous permettre de simplifier la compréhension d’un monde devenu bien trop complexe. Et tant pis si la simplification ne fait que maquiller une réalité au point de la transformer. Les savoirs sont un enjeu majeur dont les « terribles simplificateurs » s’emparent sans vergogne. Pour ceux-ci, replier « le vrai » sur « l’exact » est une pratique qui entraine que le niveau de vérité est déterminé par le niveau de décibels avec lesquels cette « vérité » est énoncée. Une vérité de laquelle le doute est évacué, ce qui en fait, rien moins qu’une certitude. A ceci près que vérité et exactitude n’appartiennent pas aux mêmes champs…

Paul Watzlawick nous aura enseigné que la « terrible simplification » doit toujours être débusquée et dénoncée tant elle fait courir aux relations et à la démocratie de graves dangers. La question que pose le « terrible simplificateur » forcené peut porter sur les savoirs, il se fait alors utilitariste : à quoi sert de savoir un savoir qui ne sert pas concrètement ? A situer l’utilité du savoir sous l’angle de la rentabilité, d’un pragmatisme immédiat, d’une rentabilité et d’une efficacité dans l’exécution des tâches, alors en effet, le savoir, la lecture, la culture… ne servent à rien ! C’est ça l’utilitarisme avec ses apparats idéologiques : posséder les savoirs dont on a besoin, et pas plus… Alors les choses deviennent (enfin) simples ! Utilitarisme et culture ne font guère bon ménage comme nous le rappelle le mouvement « d’anti-intellectualisme » venu d’outre atlantique. Trop de savoir encombre, il incite à se poser des questions qui détournent de la finalité : jouir des biens matériels. Le nouveau cogito « je consomme donc je suis » serait une fin en soi. Mais réserver les savoirs à quelques-uns n’est pas sans conséquences pour le « vivre ensemble ». A polariser sur les seuls savoirs utiles on s’éloigne de la culture qui n’est effectivement pas « utile » parce qu’elle est en fait vitale. Elle est le propre de l’humain qui doit notamment apprendre dès son plus jeune âge à renoncer à nombres d’actes qui pourtant lui seraient bien plaisants. Soit parce que ces actes sont impossibles, soit parce qu’ils sont interdits. Sublimer est la voie qui autorise la société des Hommes. La tragédie antique mettant en scène les conflits et tendances humaines les plus intimes remplissent aussi cette fonction de sublimation, au-delà de leur poésie et de leur esthétisme. Une idéologie qui engage une société dans le dénigrement de la culture et de « sa » culture ne fait que labourer le terrain de la violence. La citation d’Herriot garde toute son actualité : « la culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié ».Une pensée simplificatrice au service d’un pragmatisme aculturé n’est pas qu’un mouvement, c’est une idéologie débouchant sur un modèle de civilisation régressif dans lequel la sauvagerie rafle la mise. Et ce modèle semble bien revenir…

Éditorial de Philippe Bigot
mars 2021