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Une illusion qui a de l’avenir

A l’orée de quelques élections à venir, l’adéquation entre ce qui est dit et fait par les prétendants est un sujet qui reprendra son actualité… Alors que la répétition est inscrite dans l’action des hommes, nous reverrons sûrement refleurir une vertu que les uns et les autres revendiqueront : la transparence. Rien de bien nouveau d’autant que les effets délétères, d’une transparence revendiquée depuis une position d’imposture sont maintenant bien connus. La transparence est ainsi un concept explosif depuis qu’il est devenu un impératif, un crédo, une « valeur » qui s’est transformé en norme : la transparence est un devoir pour les acteurs de la scène publique. Alors que chacun s’accorde à penser que le faux est haïssable et le vrai désirable, nous ne pourrions que nous réjouir à l’idée d’un plus de transparence entendue comme plus de vérité. Mais la transparence porte une force obscure lorsqu’elle est érigée en idéologie…

Une certaine idéologie fait de la transparence l’alpha et l’oméga du bien commun, cette même idéologie qui promeut la norme et le contrôle. Quitte à faire fi, d’un réel toujours complexe aux allures d’un défilé du vice au bras de la vertu pour reprendre la formule de Chateaubriand à propos de Talleyrand et de Fouché… L’idéologie de la transparence implique un toujours plus de savoir. En savoir toujours plus sur chacun, faute de tout savoir sur tout le monde. Quelques scientistes fanatiques œuvrent à la prédictibilité des comportements humains. La conviction que la transparence serait désormais rendue possible par des outils performants d’évaluation animés par des algorithmes par nature objectifs comme chacun sait. Des outils qui seraient les garants d’un monde meilleur qui se donne à voir grandeur nature du côté de la Chine et de ses systèmes de surveillance, de contrôle qui cherchent à donner « tout à voir » …. Progressivement la transparence s’invite dans les domaines de notre vie sociale, de l’entreprise à la rue, en passant par l’hôpital et l’école. Au nom de la transparence et du bien vivre ensemble, quelques savants de l’Inserm avaient imaginé, il y a quelques années, de rendre « transparentes » les conduites prédélinquantes dès la crèche… Les mêmes souhaitant d’ailleurs que les lumières de la transparence aillent jusqu’aux cabinets et divans des psys. La transparence, c’est aussi inviter chacun ôter à la vérité ses derniers voiles. L’intime se montre toujours plus à la télé et sur internet, on s’épanche sans vergogne à la radio. On écoute, on raconte, on s’exhibe, on traque le mensonge ou la révélation. L’heure est aux affirmations d’un mensonge systématique dans ce qui est dit pour mieux faire éclater la vérité que quelques puissances cacheraient. Façon de dire qu’une pensée de type paranoïaque et un fantasme de transparence forment un couple diabolique. Étrange confessionnal médiatique où au prêtre silencieux et discret s’est substituée la foule téléspectatrice avide et bavarde. Présentateurs et journalistes en quête d’audience se sont mis « au parler vrai » lequel ne fait qu’aboutir à la langue de bois. On est enfin soi-même lorsque l’anonymat est rompu… Car la vérité est désormais à la portée du premier venu puisque la transparence est maintenant devenue réductible au visible. Les dérives du discours qui fonde la transparence ne datent pas d’hier. Le magnifique film « La vie des autres » rappelle si besoin que les régimes totalitaires en prônent traditionnellement les bienfaits. On fait un discours neuf avec des mots anciens – et les maux restent les mêmes. La tentation totalitaire revenant sur le devant de la scène, son symptôme qu’est la transparence ne pourra que s’amplifier. Freud a montré que « le Moi n’est pas maître en sa propre maison ». Pour ce dernier, nos inconscients se chargent d’organiser nos vies psychiques et en conséquence, nul ne saurait être transparent à lui-même. Il faudra faire avec et la débusquer, la transparence est une illusion qui ne manque pas d’avenir…

Éditorial de Philippe Bigot
octobre 2021