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Hibernatus…

Supposez que vous reveniez après une petite vingtaine d’années, supposez que vous ayez été absent du « monde » et de son brouhaha. Quelle ne serait pas votre surprise en arrivant dans le nouveau monde de la civilisation numérique. Vous découvririez les réseaux sociaux au rang desquels Twitter. Et là, une certaine perplexité vous envahirait…

Dans cet autre monde, lieu d’une expression appelée collaborative, plus de trois cents millions d’internautes s’attèlent chaque jour à réécrire l’Histoire et ainsi à transformer notre présent. Les « fakes », terme en vigueur dans le langage courant occupent une place de choix. Apparaissant parfois pour ce qu’elles sont ou se dissimulant avec subtilité dans telle ou telle présentation de situations. Bien difficile de faire la part des choses entre le vrai et le faux d’autant que l’un et l’autre recourent à « l’exact » et à « l’inexact ». Autrement dit, les frontières entre vrai et faux se déplacent en cela que le faux peut abriter « de l’exact » et inversement. Grâce à votre absence au cours de ces dernières années, vous constatez de façon saisissante que les réalités dans lesquelles nous vivons sont des réalités sociales, des réalités construites qui sans cesse viennent questionner le statut du vrai et du faux. Vous prenez alors la mesure des incidences du numérique. Dans ce monde numérisé et hyperconnecté, la dialectique, l’interrogation et le doute critique ont largement laissé leur place aux affirmations, aux certitudes et aux « fakes ». Dorénavant, une supposition énoncée sur le mode de l’affirmation a le même statut qu’un fait démontré. Ainsi, l’homme n’a jamais marché sur la lune, le 11 septembre a été instigué par la Maison Blanche, Barack Obama est un islamiste né au Kenya, les USA sont dirigés par un groupe de stars du cinéma, de la chanson et du parti Démocrate se livrant compulsivement à la pédophilie, les créationnistes rétablissent enfin la vérité sur les mensonges scientifiques de Darwin, la COVID 19 a été répandue pour tuer en masse les pauvres beaucoup trop nombreux…. Si les mensonges et autres légendes urbaines sont aussi vieux que le langage lui-même, la force de frappe instantanée et illimitée des réseaux sociaux leur confèrent aujourd’hui une influence sans égal et, plus problématique encore, sans contre-pouvoirs. Alors aux 66 millions de procureurs mieux vaudrait substituer 66 millions d’enquêteurs en recherche de vérité. Face aux prestidigitateurs de l’information, aux militants aux obsessions obsessionnelles, aux politiques sans surmoi, aux complotistes pathologiques ; notre naïveté et la passivité de ceux qui devraient répondre participent à affaiblir ce qui fait le fondement de notre démocratie et la possibilité de vivre ensemble : la confiance dans la parole.

Éditorial de Philippe Bigot
février 2021