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La banalité de la méchanceté...

Les méchancetés, petites et grandes peuplent les quotidiens de chacun. Qu’il s’agisse des méchancetés que nous subissons ou qu’il s’agisse de celles que nous infligeons, parfois à l’insu de notre plein gré, selon la désormais célèbre formule ; elles participent des relations humaines. Mais qu’en est-il de cette méchanceté et des formes qu’elle peut prendre lorsqu’elle s’étend, et, se répand dans les médias et les réseaux que l’on nomme sociaux ?

Les articles ne manquent pas ces jours derniers pour revenir sur les quelques trente ans du phénomène de la téléréalité. Son ressort est simple mettre des « anonymes » sous les feux des projecteurs et leur donner la parole. On comprend vite que c’est là une manière d’accéder à la notoriété, à la « popularité » quitte à se donner en spectacle et parfois même, à se jeter en pâture. Et le paradoxe se déplie ici : en cherchant à donner la parole pour susciter l'empathie on en arrive à provoquer son envers : la moquerie, l'ironie, en un mot de la méchanceté ; comme si, empathie et méchanceté pouvaient se superposer et même se confondre. Mais où se loge cette méchanceté : chez la personne moquée qui a décidé de s’exposer prenant ainsi son risque, dans le dispositif de « téléréalité » qui l'instrumentalise, ou encore, dans le regard du spectateur qui y prend plaisir, comme au bon vieux temps de la catharsis antique ? Peut-être un peu des trois, car un autre paradoxe, réside ici : en donnant la parole à des personnes qui ne l’avaient pas jusque-là, en ouvrant le champ médiatique à tous se réaffirment des normes, se rétablissent des jugements de goûts, de morale et toute sorte d'évaluations. Et sur ce terrain de l’évaluation et sous couvert de « donner son avis », nous sommes conviés à nous prononcer. Et à lire des « commentaires » accompagnant la notation attribuée à un chauffeur Uber, un livreur Deliveroo, un restaurant sur Tripadvisor, un produit acheté sur un site marchant... on réalise là aussi que la méchanceté peut bondir à chaque instant. Il est somme toute banal que la possibilité de donner la parole à tous, pour exprimer une opinion, déchaîne les passions allant jusqu’à abolir les règles de la bienséance. Qu’est-ce qui fait que cette possibilité d'expression donnée à l’anonyme en vient à établir des distinctions qui élisent non pas des chefs, mais des boucs émissaires ? Pourquoi sur le mode de la méchanceté qui, même diversifiée, voulue, répétée, comme les trolls qui vampirisent les sites, vise toujours un « autre » ? A l’ère du numérique, une novlangue s’impose. Ne parlons plus de lynchage mais de « bashing » qui n’est rien d’autre qu’une des formes contemporaines d’expression de la méchanceté qui peut être, reste malgré tout, même en négatif, une manière de désigner les liens qui nous unissent.

Éditorial de Philippe Bigot
mai 2021