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Une éthique minimale

L’actualité est toujours fertile pour nourrir les grands discours moralisateurs qui, comme le disait Pascal, se moquent de la morale. Et la période pandémique ne saurait faire exception donnant la parole aux experts qui ont des avis sur tout et surtout des avis… jusqu’aux moralisateurs de tout bord et de tout genre. Il y a pourtant quelques cailloux dans la chaussure du moralisateur…

Le philosophe Ruwen Ogien nous a légué en héritage son concept d’éthique minimale, lequel, sous ses allures de pas grand-chose, ne vise rien d’autre qu’à miner le moralisme et les morales prétentieuses, le paternalisme et toutes les formes de prohibitionnisme érigées par ceux qui, se disant absolument certains de savoir où sont « le bien » et « le juste », dressent des murs au-delà desquels ils projettent tout le mal. Ce minimalisme se caractérise par une sorte de neutralité à l’égard des diverses conceptions du « Bien », et pose que nos croyances morales n’ont pas besoin de se fonder sur un principe unique et incontestable (Dieu, la Nature, la Raison…), et parvient à faire tenir toute la morale dans deux petits impératifs : accorder la même valeur à la voix de chacun, et ne pas nuire aux autres. Qu’est-ce cela implique ? Tout simplement qu’il n’y a pas de devoir envers soi-même, et qu’on peut mener la vie qu’on veut du moment qu’on ne porte pas tort à autrui. S’en tenir à cette éthique minimale ne va pas de soi. Car même en n’ayant aucun devoir envers moi-même, je peux évidemment me laisser aller, ne plus prendre soin de mon hygiène ou de ma santé, me laisser détruire par de dangereuses addictions, céder à toutes les indignités. Mais est-il certain qu’en me comportant ainsi, je ne nuise pas à autrui, je ne fasse pas du tort à ceux qui m’estiment ou m’aiment, et qui se sentent tristes, humiliés, blessés de me voir me dégrader de la sorte ? Le philosophe cherchera sa vie durant à montrer qu’une éthique minimale est non seulement praticable mais apte à protéger des moralisateurs. Une éthique minimale ne s’exerce pas sans provoquer quelques grincements. Car il n’est guère aisé d’accepter que bien des pratiques, qu’on dit absolument immorales, sont en réalité simplement contraires à des règles religieuses n’impliquant alors pas ceux qui n’ont pas de religion ou à des règles sociales qui ne cessent de varier selon les sociétés et les époques. Dans son iconoclaste ouvrage « l’Influence des croissants chauds », Ruwen Ogien désirait qu’on ne puisse freiner et rogner la liberté des personnes. Aussi, laissons-lui le dernier mot : « On peut être universaliste à propos du juste et relativiste à propos du Bien ».

Éditorial de Philippe Bigot
avril 2021