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27 avril 2022

C’est la date fixée pour l’exécution de Mélissa dans la prison de Gatesville au Texas. D’origine hispanique vivant au Texas, elle a vécu dans la pauvreté avec ses quatorze enfants. Fréquemment battue par ses différents compagnons, elle a déménagé a de multiples reprises passant de logements insalubres en logements insalubres, nourrissant ses enfants avec des aides alimentaires, vivant d’expédients. Mélissa consommait des stupéfiants. Mariah sa dernière fille, alors âgée de deux ans, est retrouvée morte dans leur logement d’alors par l’une des filles de Mélissa. Cette dernière appelle les secours et la police ne tarde pas à arriver. Pour les policiers les évidences s’imposent vite. Mélissa est arrêtée à la fin de la journée même, soumise à interrogation le soir même, et durant une longue partie de la nuit au cours de laquelle, les premières conclusions du médecin légiste seront communiquées...

Mariah a subi tout au long de sa courte vie, une maltraitance physique dont témoignent contusions multiples et différentes fractures consolidées. Mélissa avouera alors, avoir tué sa fille. L’interrogatoire a été filmé par la police. Mélissa va être jugée pour infanticide. L’avocat qui la représentera l’enjoint à plaider coupable. Elle refusera et veut dire sa vérité qui n’est pas celle de la police. Elle fait confiance dans la justice de l’Etat, de son pays. Elle sera condamnée à mort au terme d’un procès expédié, et d’une défense inexistante. Mélissa entre dans la liste des femmes condamnées à la peine capitale, au Texas. Une avocate engagée reprend le dossier de Mélissa qui accepte, pour faire appel de la décision. L’inespéré se produit, les juges décident d’un nouveau procès - et ainsi de nouvelles investigations et enquêtes - considérant qu’il était manifeste que Mélissa n’avait pas bénéficié d’un procès équitable, les juges statuant même sa libération immédiate. L’invraisemblable se présente aussitôt : l’Etat du Texas conteste la décision des juges et, fait appel. Avec une majorité divisée, les juges annuleront la décision de leurs confrères et confirment la peine de mort ; Mélissa reste donc dans le couloir de la mort. Une journaliste et réalisatrice française, Sabrina Van Tassel mène un projet documentaire dans la prison de Gatesville sur la vie carcérale des femmes. Elle rencontre Mélissa et, va être bouleversée par cette femme et son histoire. Le projet documentaire se transforme immédiatement, et, la journaliste mène l’enquête ; celle que la police n’a pas mené ; celle que la dernière avocate de Mélissa a mené. Journaliste et avocate ne se connaissent pas encore. Elles vont établir les mêmes faits, démontrer qu’il est très improbable que Mélissa ait tué sa fille. Et même, qu’elle l’ait maltraité. Les actions de l’avocate jusqu’à la cour suprême seront vaines, la cour refusera d’examiner le dossier. Le documentaire de Sabrina Van Tassel intitulé « L’Etat du Texas contre Mélissa » montre et démontre tous les éléments qui n’ont pas figuré au dossier, les témoins écartés, les faits qui n’allaient pas dans le sens de l’infanticide. Le document intègre la vidéo réalisée par la police durant l’interrogatoire de Mélissa, jusqu’aux aveux. Une séquence typique d’obtention des aveux. Le documentaire a touché, rencontré un public large dans de nombreux pays. Des personnes, des collectifs se mobilisent. Car les motifs d’indignation ne manquent pas face à cette affaire : la peine de mort comme « barbarie rendue au nom de la justice » pour reprendre les termes de Robert Badinter ; la peine de mort dont les statistiques judiciaires démontrent qu’elle tue des innocents condamnés à tort par des juges ; la construction d’une coupable idéale au crime révoltant : tuer son propre enfant ; une affaire vite « résolue » par la police le jour même, le refus de l’Etat du Texas de rouvrir le procès : quelle menace représente cette femme pour que l’Etat se mobilise autant pour son exécution ? Et, il est une autre indignation qui émerge en mettant en perspective des événements concomitant et sans rapport.  Toujours au Texas, il y a quelques semaines, les pressions qu’exercent des groupes de parents (souvent des « ultra » quelque chose) auprès des établissements scolaires et des enseignants ont abouti. Ces parents veulent que leurs enfants ne soient pas influencés par « théories dominantes » enseignées à l’école. Des parents aussi déterminés que radicalisés ont pu obtenir du lycée et des enseignants que des « vérités alternatives » soient désormais enseignées en réponse aux « théories dominantes ». La réalité des faits est cinglante et implique en l’espèce, que les enseignants en histoire devront dans ce lycée, enseigner des « vérités alternatives » lorsqu’ils enseigneront la Shoah. Des « vérités alternatives » dont la nature est bien connue. Mélissa quant à elle est déterminée par une seule vérité qui la condamne à la mort. L’Etat du Texas ne connait qu’une vérité, la sienne. Il refuse toute « alternative » à la vérité d’un procès pourtant reconnu bâclé par des juges. A l’école, les pseudo-vérités peuvent coexister (jusqu’à quand ?) avec le savoir et les faits historiques et scientifiques. Dans les tribunaux, une seule vérité même établie comme douteuse ne peut être révisée quand bien même la vie d’une femme est en jeu. Ainsi, la vérité historique de la solution finale devra être débattue là où, la vérité de quelques juges serait si infaillible qu’elle n’ouvre pas même, au débat. Cette lutte entre faits scientifiques et « vérités alternatives » n’a rien de nouveau là-bas aux Etats-Unis, comme ici en Europe. Cette lutte a pris depuis quelques années des dimensions qui doivent nous alerter, nous préoccuper. L’affaire judicaire de Mélissa est aussi le symptôme de cette lutte, et, sa vie est dorénavant hypothéquée. Ces combats idéologiques entre « vérités » n’ont rien d’anodin. Ils sont féroces. Ils tuent et tueront le 27 avril 2022 dans la prison de Gatesville au Texas.

Éditorial de Philippe Bigot
février 2022