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Communiquer n’est pas parler…

Les champs de la parole et ceux de la communication en viennent à se resserrer et parfois, à se confondre. La langue et les formes de langage se transforment au fil du temps et s’imprègnent des tendances du moment. La langue est du côté du vivant, les mots eux-mêmes « font leur vie ». Rabattre la fonction de la parole à la seule fonction communicationnelle du langage n’est pas sans effet pour les êtres parlant que nous sommes. L’irruption du langage informatique dans le langage de tous les jours est un phénomène qui alimente la confusion entre parler et communiquer.

Bien que le phénomène ne soit pas récent et qu’il ait pu impliquer d’autres champs, nous pouvons observer que notre langue quotidienne s’est informatisée ces temps derniers. De plus en plus de mots du champ lexical de la machine, des ordinateurs, ou, de l’informatique de manière plus générale ont envahi notre langage. Ainsi, les modes de pensées et leurs prémices sont devenus des « logiciels », changer de logiciel venant alors signifier le « remplacement » d’un mode de pensée. Les rendez-vous ne sont plus définis mais nous voilà programmés : « vous êtes programmé pour lundi 16h00 », il n’est donc plus question de planifier un horaire mais de programmer la personne. Une pensée obsessionnelle tourne aujourd’hui « en fond d’écran ». A cela viennent s’ajouter toutes les attitudes et comportements qualifiés de « en mode de » se disant « je suis en mode… » ; mode désignant bien souvent une fonction informatisée ou numérisée, de celles dont regorgent nos téléphones.  J’entendais récemment quelqu’un dire qu’il se mettait en « mode silencieux » durant toute la réunion… Effet de langage ? Métaphore pour ne dire explicitement quelque chose ? Trait d’humour dans la formulation ? Autrement dit, est-ce là un phénomène banal ou y a-t-il des effets plus profonds à ce phénomène ? Le déplacement d’un registre du langage, ici informatique, au registre de la langue entraine une confusion entre communiquer et parler. Le langage est alors ramené à une seule fonction de code et ainsi d’information. Le langage est la faculté de parler une langue là où, communiquer vise à échanger des informations, parler c’est trouver son chemin particulier et singulier dans un ordre du langage qui préexistait bien avant notre naissance et permettait même que nous soyons « parlés » avant notre arrivée ! Parler est une façon pour chacun de faire vivre une fonction symbolique que permet le langage, et, qui fonde la nature de l’humanité. Dans l’ordre du langage, chaque langue est une vision du monde comme le souligne le philosophe Souleymane Bachir Diagne. Alors si nous communiquons pour échanger des informations, nous ne saurions nous réduire à la seule fonction d’émetteur et de récepteur. Or, à l’heure où la performance est le leitmotiv et pas uniquement dans le monde du travail mais dans le quotidien ; il y a une cohérence à ce que chacun cherche en permanence à gagner en efficacité et en rapidité, à la manière de nos machines et logiciels qui « process » et « automatisent ». Alors que l’informatique est synonyme d’efficacité, de rapidité, de pragmatisme, il est probable que son langage s’immisce dans nos discours pas seulement pour faire moderne, mais parce que ça redéfinit notre rapport au temps que d’utiliser des sigles ou des mots techniques ou informatiques. Un langage pour être toujours plus efficace et dans un gain de temps lui aussi gage d’efficacité. Et la question demeure : pourquoi ?

Éditorial de Philippe Bigot
avril 2022