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Singularité

La fin de l’année arrive à grand pas, et avec elle, l’approche de 2045, année qui selon quelques experts, sera celle de la « singularité »… Un collège de très sérieux experts et reconnus, nous en fait l’annonce : dans une trentaine d’année une nouvelle ère de l’humanité verra le jour… qui ne sera rien moins que sa disparition sous la forme que jusque là, nous lui connaissions. Le pronostic est formel, l’humain lui-même passe à la trappe (en 2045…) et à ce moment de bascule est attribué - non sans poésie - le nom de « singularité »…

Dans un sens courant, la singularité est une caractéristique qui rend particulier, unique, original ce qui en est pourvu. La singularité est alors du côté de la différence, de ce qui fait « différence ». Dans certains courants des sciences sociales, la singularité est indissociable du concept de sujet. Le sujet étant alors envisagé comme un individu singularisé. Dans un tout autre champ, celui des mathématiques, la singularité est alors un cas, une valeur dans lequel une part de l’objet mathématique lui-même, n’est pas définie. On voit ici se manifester le renversement de sens au regard du sens commun ou encore celui des sciences sociales. L’astrophysique s’empare aussi du concept de « singularité » avec la notion de « trou noir » ; lequel est défini comme un corps de masse telle qu’il retient ses propres rayons. Ce qui signifie que rien n’en sort et qu’il est – comme le suggère son nom – invisible. La « singularité » désigne alors ce point par lequel espace et temps se confondent c'est-à-dire un point qui rend le temps nul. Et comme en témoigne les nombreux débats voire querelles de scientifiques, cette « singularité » là semble bien toute théorique… Mais c’est une toute autre affaire qui nous est annoncée avec le retour du signifiant « singularité » transporté du champ de l’astrophysique à celui de l’espèce humaine. Le grand chambardement est daté : 2045… de quoi entrainer un surcroit de fébrilité à chaque nouvelle année ! La « singularité » est une théorie développée par quelques scientifiques de renom qui nous annonce que les ordinateurs vont devenir plus intelligents que l’Homme ouvrant ainsi à un bouleversement profond de l’humanité, de la civilisation… Cette théorie est reprise par de toute aussi sérieuses revues scientifiques ou d’informations au dessus de tout soupçon. Le paroxysme de l’angoisse du commun des mortels réside en ceci : impossible de prédire les conséquences d’un point de vue scientifique… Bref, toutes les hypothèses sont possibles et certaines font florès. Les plus optimistes y voient l’immortalité de l’Homme ; d’autres sont convaincus de la prise de pouvoir des ordinateurs sur l’espèce humaine. Toute ressemblance de la réalité avec une fiction (même cinématographique) ne serait que pure coïncidence ! Et peu importe si l’histoire ne cesse de montrer que l’annonce de la fin de l’humanité est concomitante de l’humanité elle-même. La principale critique faite à la théorie de la « singularité » est de taille : il est dénoncé l’absence de preuve ; reproche qui pour une théorie scientifique s’avère embarrassant… Aussi lorsque la science affirme et ne prouve pas, il est probable qu’elle ait abandonné sa singularité... ajoutez à cela les effets du déplacement sémantique (singularité) d’un champ à un autre et vous obtenez là, les principaux ingrédients du scientisme qui n’est rien d’autre que la réduction de la science à ses apparences…

Mais la fin de l’année approche, alors laissons nous porter par Horace et son poème… carpe diem… en attendant 2045.

Philippe Bigot

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2013