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L’épreuve de la philosophie…

Le cycle du temps a ramené une nouvelle moisson de sujets pour l’épreuve de philosophie du baccalauréat. La philosophie connait depuis quelques années un regain d’intérêt. La multiplication des « mensuels » spécialisés et le succès croissant de quelques uns en est un signe incontestable. Le retour de la philosophie est une bonne nouvelle à une époque où la pensée et les savoirs doivent se faire « utiles » et où la réflexion est à la connaissance ce que le « fast food » est à la cuisine. Et, à voir les sujets de philo proposés aux candidats bacheliers, on comprend vite que les philosophes ayant planché sur les sujets ne manquent pas d’humour. Et c’est là, une autre bonne nouvelle…

« Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ? », la question est ardue et en soi intemporelle puisqu’elle invite à poser une réflexion autant qu’une distinction entre la morale et le droit, réflexion elle-même soutenue par une autre sur ce qui constitue l’ordre de la vie privée et de la vie publique. Mais la question est aussi amusante parce que « temporelle ». Imaginez seulement qu’une inversion des mots se produisent pour devenir « peut-on agir politiquement sans s’intéresser à la morale ? »… la lecture de la copie de Jérôme C, de Claude G et de quelques autres nous en apprendrait bien plus que n’importe quel manuel du parfait philosophe ! Sur un autre registre, les candidats pouvaient plancher aussi sur cette question « être libre, est-ce n’obéir à aucune loi ? ». Un autre sujet intemporel que celui de la liberté… la mise en opposition qui permet de construire, classiquement, la réflexion philosophique nous convie alors vers ce qui « s’oppose » c'est-à-dire entrave la liberté, soit l’obéissance comme fondement de la soumission aux principes « extérieurs ». Perspective qui conduit directement à ce dilemme aristotélicien « soit je suis libre (de mon action), soit j’obéis ». Une façon de résoudre le dilemme serait de s’affranchir de ce qui soumet, en dernier ressort, la loi (en comptant aussi celle qui s’écrit avec un grand L). Et dans ce cas, quoi de mieux que d’être à une place qui permet (au moins de façon imaginaire) de s’y soustraire ? Sur ce point, les copies de Dominique S et de son ami, récemment écrivain, et connu sous le nom si romantique de Dodo La Saumure pourraient s’avérer éclairantes. En particulier, si elles permettent d’envisager que la véritable aliénation n’est probablement pas dans les lois qui régissent la société. Simplement parce qu’elles nous permettent de vivre ensemble, et ce, avec une certaine idée de la civilisation qui fait que « l’autre » est autre chose qu’un objet… « Le langage n’est-il qu’un outil ? », une autre question qui vient interroger l’espèce humaine dans ce qu’elle a de si singulière. On voit bien à quel point « l’outil » est une préoccupation du monde hypermoderne. Il y a peu un président en exercice débarquait sur les écrans TV pour présenter et vanter sa « boite à outils ». Autant dire que « l’outil » c’est du sérieux. Alors le langage comme outil, la question méritait d’être posée et reste à savoir si c’est aux bacheliers, seuls d’y répondre. A l’heure (leurre…) du storytelling envahissant, des « éléments de langage » qui tiennent lieu de discours politique et ne font que produire des effets de bruits de bouche, il est légitime de se demander si le langage n’est pas en passe de devenir un « outil ». Car si le langage dans sa fonction sémiotique permet de nommer les choses et par là de créer un ordre dans le monde, il permet aussi d’influer sur l’agir car parler, c’est aussi agir. Le langage comme outil ce n’est autre que la « novlangue » de la fiction d’Orwell, il l’a magistralement démontré. Avis aux amateurs. « La science se limite t’elle à constater les faits ? » est aussi une question d’actualité. Avec une telle question, la tentation empiriste n’est pas loin, on ne peut s’y soustraire pour construire un argumentaire. Alors que la science se doit de se fonder sur les faits pour les expliquer, elle ne saurait se limiter aux faits pour rendre compte de ceux-ci sauf à renoncer à être une science. Du reste on peut même se demander à quoi servirait une science qui se cantonnerait aux faits et par là, à leur description ? Voilà qui nous amène en plein sur le nouveau DSM (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders), le 5ème du nom. Manuel mondial de la psychiatrie, venant tout droit des Etats Unis. Ici plus de maladie mentale, plus de clinique requérant des élaborations mais des observations. Rien que des observations. La maladie mentale a fait place aux « troubles ». Exit la psychopathologie et sa perspective structurale, exit les symptômes à déchiffrer… Seul le trouble compte car il est répertorié dans le manuel, il ne reste au médecin qu’à observer et à additionner les troubles. La réponse se trouve alors dans le manuel. Rien à interpréter, à subjectiver ou même à comprendre dans une perspective, une dynamique de vie. Observer, traquer le trouble. Or donc « la science se limite t’elle à constater les faits ? ». Le DSM a apporté clairement sa réponse. Et c’est un oui sans réserve. Il faut alors dire tout haut que ceci n’est pas de la science. L’apparence de la science ne saurait constituer la science… Cette question « du bac » devant permettre d’évaluer les connaissances et compétences des candidats est aussi une question bien réelle. Elle trouve sa traduction massive avec le DSM qui est porteur de rien moins qu’une vision de l’Homme et d’un modèle de civilisation. J’allais oublier… « Le travail permet-il de prendre conscience de soi ? ». Dans le monde hypermoderne, la question ne manque pas de sel… Il me reste à vous souhaiter de belles vacances qui devraient aussi contribuer, sensiblement, à la conscience de soi !

Éditorial de Philippe Bigot
juillet 2013