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La négation si je mens…

La « post-vérité » fait une entrée fracassante sur la scène mondiale. Le menteur venant faire pâle figure aux côtés des tenants de cette posture qui substitue l’affirmation bruyante à la pensée. Avec la « post-vérité » chacun peut se trouver bousculé et parfois, jusqu’au basculement, dans son rapport au monde. Et si l’enjeu était civilisationnel ?

Les vérités des faits sont assujetties à la subjectivité humaine en raison de la contingence des faits. Par exemple, les faits historiques relèvent d’une raison interprétative qui autorise la production de récits. La diversité des interprétations et, la pluralité possibles des récits concernant les faits historiques ne sont pas de nature à remettre en question l’existence même de ces faits. La vérité des faits renvoie au caractère irréversible des événements. Nous ne pouvons donc que reconnaitre le fait comme tel et chercher ensuite à l’interpréter, à lui donner « sens ». Or l’entreprise de la « post-vérité » incite à nous faire franchir un autre pas : imposer la négation des faits et de ses évidences au profit de « faits alternatifs ». Les promoteurs de la « post-vérité » ne peuvent alors être envisagés comme de simples menteurs. S’il trompe son interlocuteur, le menteur le fait d’autant plus et mieux qu’il connait bien la réalité avec laquelle il s’arrange. L’adepte de la « post-vérité » cherche à éviter d’aborder la réalité des faits tels qu’ils sont. Il s’y attaque avec une batterie d’arguments allant de la manipulation des données à leur invention pure et simple. Avec la « post-vérité » c’est la projection imaginaire qui occupe la place de la vérité des faits. L’exactitude des faits n’est plus alors une préoccupation cette dernière étant alors exclusivement idéologique. Il s’agit d’être fidèle – au-delà des faits – à ses croyances, à ses convictions, à ses présupposés. Discours complotiste et discours antisystème sont les formes les plus apparentes et souvent folkloriques d’une « pensée » qui s’auto valide. Difficile dès lors de prendre conscience d’une dérive entre affirmations et vérités des faits ; le militant de la « post-vérité » imposant sa fiction en niant les faits. Aucune remise en question n’est à ce stade possible puisque de la manière la plus systématique, il s’agit de persister à ne croire ce que l’on croit déjà. La « post-vérité » est aux antipodes de la méthode scientifique dont l’exigence requiert de chercher sans cesse à infirmer ses théories. Les faits forment le fond irréductible à partir duquel des opinions peuvent se forger. Leur diversité n’autorise le débat dès lors que les vérités de fait y sont respectées. Mais ces vérités de faits sont vulnérables comme avait pu le souligner Hannah Arendt. Face au négationnisme des faits quel débat peut-il y avoir ? Pour celui qui se revendique des « faits alternatifs » et de la « post-vérité », sa force d’énonciation devient le seul moyen pour imposer sa vision qui n’est rien d’autre que sa volonté de puissance. Nier la vérité des faits ouvre à la violence des rhétoriques qui remplacent l’art de convaincre par celui de persuader. Dissuader sera l’étape suivante. C’est à la raison que s’attaque frontalement la « post-vérité » laissant alors le champ libre à l’expression pulsionnelle. Rien dans l’histoire humaine ne laisse penser que les pulsions, lorsqu’elles sont au pouvoir, vont garantir le « vivre ensemble »… Sur la scène politique les effets peuvent s’avérer dévastateurs si les fondements démocratiques ne sont pas solidement plantés et, si les citoyens manquent de vigilance. En se présentant comme « révolutionnaire », la posture de « post-vérité » n’est qu’une escroquerie. Elle est radicalement « involutionnaire ». Face à la raison, la « post-vérité » offre le retour des stéréotypes, de l’archaïsme. C’est à une forme contemporaine de l’obscurantisme à laquelle nos sociétés sont conviées. Ici pointe la question de civilisation. Nous avons affaire à un ennemi de la vérité bien plus dangereux que le menteur qui lui n’ignore pas le principe de réalité. Le tenant de la « post-vérité » lui s’en affranchit. « Niez, niez, il en restera toujours quelque chose » pourrait-on paraphraser. La « post-vérité » peut alors apparaitre pour ce qu’elle est, le nouveau packaging du négationnisme.

Éditorial de Philippe Bigot
février 2017