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Mauvaise langue…

La mondialisation est aussi une affaire de langage. Le « corporate » a sa langue qu’il faut savoir utiliser pour montrer que vous êtes dans le coup. Mais ce langage se transporte aussi dans nos sphères familiales, amicales. Qu’est-ce que véhiculent vraiment ces mots, parfois des anglicismes ? Faisons-nous un bond en avant dans l’ordre du langage avec cette novlangue moderniste ?…

A parler comme dans l’entreprise on en viendrait à se prendre pour une entreprise. C’est bien là que ça coince. D’aucuns vont « checker » pour charger le coffre de la voiture, là ou d’autres « actent » de la pénurie de beurre… passons sur la « gestionnite » aigüe et omniprésente : gérer les enfants, les week-ends, les vacances, les soirées quand ce n’est pas les émotions… Certains pensent avoir trouvé la clé : ils fonctionnent en « mode projet » ; bref ils animent, donnent du sens, délèguent, sollicitent du « reporting » et du « feed-back ». Petit florilège du « business language » : ne dites plus retransmettre mais « cascader », les managers « cascadent » les informations vers les équipes tout comme on « cascade » un mail vers ses amis. Ne dites plus écart, mieux vaut parler de « différentiel », il y a donc de gros « différentiels » entre ce que disent et font les gens. Vous ne devinez plus, vous « intuitez », vous ne cherchez plus, vous « investiguez » la maison pour retrouver vos clés. Terminé la planification, il s’agit maintenant de « timer » : « timer » sa journée, « timer » ses activités… Pourquoi demander que l’autre soit actif alors qu’on peut lui demander d’être « proactif » ? Evidemment ça change tout… Et en cas de surcharge ou de ralentissement mieux vaut « au jour d’aujourd’hui » dire « embolisé » : ce surcroit d’activité risque « d’emboliser » le service ; impressionnant non ? Le langage biologique et médical fait toujours recette, il suffit d’écouter, d’aucuns en abusent même sur les questions de société. Plus question de lancer une action, vous « l’initialisez » ; aux oubliettes l’idée de diriger, maintenant vous « pilotez » et puis, terminé les comparaisons, maintenant vous « benchmarkez », vous n’avez plus à exclure, vous « blacklistez »… et la liste s’allonge…. Ce langage trouve à s’épanouir dans tous les domaines, dans tous les secteurs professionnels même si certains semblent s’y lover plus que d’autres, extrait : « l’implémentation du projet va impliquer des ressources additionnelles pour être finalisée dans la deadline ». Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé… Il y a fort à craindre que ce langage gorgé de néologismes et autres anglicismes aux apparences inoffensives ne fasse que masquer une réalité, celle d’un vide. Cette novlangue ne semble pas être faite pour communiquer mais pour construire l’illusion que des choses particulières, importantes, efficaces… se déroulent. Ce langage « corporate » fabrique une « néo-réalité » dont il lui reste à masquer l’insignifiance…

Éditorial de Philippe Bigot
mai 2017