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Innocentes métaphores

La métaphore est constitutive du langage lui-même. Elle revêt tous les avantages, notamment celui de la simplicité pour communiquer une idée, un message, établir des liens, des parallèles et même du « sens ». Les métaphores sont présentes dans nos vies personnelles et bien sûr dans les espaces professionnels. Par leur simplicité et parfois leur naïveté, les métaphores semblent au dessus de tout soupçon. Et pourtant à y regarder de près…

La métaphore n’est pas sans conséquence, au-delà de l’image d’Epinal ou de l’effet de communication recherché. Par les « jeux de langage » - selon l’expression de L. Wittgenstein - qu’elle installe, la métaphore peut rapidement devenir aliénante voire totalitaire dès qu’elle se présente comme apparat idéologique… Dans le champ professionnel et de l’entreprise en particulier, les métaphores innocentes ne manquent pas ! Voici quelques exemples connus de tous, tellement connus de tous qu’on oublie d’interroger le fondement de ces métaphores, qu’on oublie qu’elles ne sont peut être pas aussi innocentes qu’elles n’y paraissent. Dans l’entreprise, qui ne connaît pas la métaphore sportive ? Les équipes et les managers sont assimilés à des champions, l’aliénation peut commencer… Comme les champions, les acteurs de l’entreprise doivent se surpasser, faire toujours mieux dans la compétition, pulvériser les records et les objectifs, développer sans cesse de la performance comme autant de conditions pour occuper la première marche du podium. Cette métaphore est potentiellement dangereuse dans ses effets induits. Dans le monde du sport, particulièrement lorsqu’il est médiatique, nous savons trop bien comment les sportifs de haut niveau le deviennent et se maintiennent au niveau… Il y a un tribut à payer pour devenir et rester N°1, il en est de même dans l’entreprise. L’aliénation consiste dans le « jeu de langage » de la métaphore qui crée une réalité subjective et installe ses règles. Ainsi, le manager englué dans la métaphore n’a plus d’autre choix que de se comporter en champion potentiel, parfois jusqu’au rejet… Le consultant, le coach, pris eux aussi dans cette métaphore – souvent par mimétisme… - n’ont guère d’autre choix que d’aider à développer la musculature et faire produire du résultat. Le champion sportif et le champion dans l’entreprise ont ceci en commun : le sujet est passé par pertes et profits. Pour aller crescendo dans le registre de la métaphore virile, la métaphore militaire conserve toute son actualité. La guerre (économique) est permanente, il faut alors une « stratégie », un « plan de bataille », une « tactique », maîtriser et réduire « les pertes », éliminer les obstacles pour ne pas dire les concurrents. Chaque médaille ayant son revers dit-on, il est fréquent que la métaphore se vive aussi dans l’entreprise elle même, dans les relations de travail. Ce qui est vrai « dehors » l’est souvent aussi « dedans » une fois que les logiques sont intériorisées par chacun. Ambiance garantie ! Métaphore sportive ou métaphore militaire, dans les deux cas il y a un vainqueur et des vaincus. Au niveau individuel, curieusement, l’entreprise fait aussi métaphore. C’est l’avènement de la métaphore gestionnaire. Chaque personne devenant ainsi une entreprise, une PME (Personne à Métaphore Envahissante !) qui doit se gérer. Gérer ses relations, gérer ses sentiments et mieux encore ses émotions, gérer sa famille, gérer ses loisirs… tout cela en maximisant bien évidement. Avec la culture « du bien fonctionner », c’est encore le sujet qui disparaît. Une fois pris dans les mailles de la métaphore gestionnaire, l’épuisement et la perte de sens sont garantis. S’arrêter, réfléchir, s’interroger et se « laisser être » relevant alors d’un luxe qu’on ne peut s’autoriser dans une gestion du temps rigoureuse et rationnelle. Innocentes métaphores ?

Éditorial de Philippe Bigot
février 2007