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Le « non-dit »...

Le manque voire l’absence de communication dans les entreprises, les organisations est une source de difficulté tant pour l’efficacité du travail que pour les personnes. Ce constat est d’une grande banalité et ce n’est sûrement pas prêt de cesser. Autre chose est, le « sujet tabou », l’interdiction - non formulée mais  bien comprise par tous dans l’entreprise - de ne pas dire. Il s’agit là du « non dit » organisé c'est-à-dire posé en règle.

Tout le monde le sait, tout le monde y pense mais en parler « tout haut » c’est rompre le pacte implicite, s’exposer aux représailles dans un contexte économique où sont nombreux les « demandeurs d’emploi »…. Contrairement à la représentation collective et à l’acception commune du tabou et du sujet qualifié de tabou qui tendent à se confondrent. Or, si le tabou est une fonction, il n’est pas du même ordre que le « sujet tabou ». Dans la perspective psychanalytique, le tabou de l’inceste est fondateur de la Loi, il est en ce sens une fonction. Mais revenons au monde du travail, dans lequel des sujets tabous - c'est-à-dire ceux dont on ne peut parler - commencent à tomber, notamment ceux qui concernent les violences sexuelles, morales, psychologiques que l’on nomme aujourd’hui « risques psychosociaux ». Bien que difficiles, ces sujets peuvent aujourd’hui être cités et évoqués dans l’entreprise, il s’agit souvent pour les acteurs d’arriver à dépasser le poids de la tradition, celle de l’omerta. Un point d’appui non négligeable pour l’émergence de la parole est l’existence d’un arsenal juridique. Mais le « non dit » organisé peut toucher à bien d’autres questions de l’entreprise. Un exemple nous est donné au travers des contradictions entre le discours et les actes. Une enquête menée auprès de 15000 salariés européens par le cabinet conseil Towers Perrin a relevé qu’un tiers des salariés sondés considéraient leur direction comme « intègre » ou « exemplaire » des valeurs de l’entreprise. Un tiers seulement…. Il ne s’agit pas ici de pointer l’inévitable décalage irréductible pour l’être parlant, entre son discours et ses actes, mais de pointer les contradictions et leurs conséquences lorsque la direction ne se comporte pas en cohérence, ne pose pas des actes conformes au discours, aux valeurs prônées. A l’heure des chartes qualité et de la quête du sens, de nombreuses entreprises ont plus ou moins impliquées leurs collaborateurs dans la réflexion sur les valeurs, celles là même qui s’affichent dans les halls d’entrée… Il s’agit bien là d’un sujet tabou car pas question, sous peine de se mettre en danger, de dire à haute voix les contradictions sauf à être le « fou » de l’entreprise tout comme par le passé nos rois avaient les leurs. Or, le niveau et l’ampleur de la contradiction entre le discours, ce qui est exigé des collaborateurs et le comportement des dirigeants peut tout à fait rendre compte des dysfonctionnements parfois importants, que rencontre l’entreprise tant dans son organisation que dans les relations de travail. Plus les contradictions sont flagrantes, plus le « non dit » est la règle et plus les dysfonctionnements seront bruyants dans l’entreprise allant parfois jusqu’à mettre en cause la santé psychique des personnes…. C’est imparable. L’actualité récente de quelques entreprises a du reste montré cela de façon explicite. Une entreprise dans laquelle tous les sujets peuvent « être parlés » est sans aucun doute la preuve de sa bonne santé. Qu’il y ait des tabous dans l’entreprise tout comme il y a en a dans la société, la famille n’implique nullement qu’ils ne puissent pas être évoqués, « parlés ». De la même façon, les sujets tabous quels qu’ils soient doivent pouvoir être abordés. Il ne s’agit pas là d’une position idéologique à priori, mais d’une position de bon sens à posteriori dans l’intérêt bien compris des personnes et de l’efficience économique des organisations. Quelle entreprise a réussi et durablement dans la contradiction de son discours et de ses actes ?

Éditorial de Philippe Bigot
septembre 2009