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Parler le travail...

Cet intitulé, « parler le travail » pourrait à grand trait, résumer l’hypothèse soutenue dans un récent rapport de l’ANR (Agence Nationale de Recherche). L’évolution des formes de travail, des modes d’organisation et de management soumis aux impératifs de la gestion font émerger un débat plus large, plus sensible aussi, celui de la santé au travail. Car le travail peut rendre malade, de ces maladies dont on ne guérit pas (le cas de l’amiante…), il peut faire souffrir aussi, de maux psychologiques non détectables dans les analyses biologiques mais dont les effets sont bien réels tout comme les drames vers lesquels ils peuvent mener. Alors que l’origine du mot travail vient ici ou là faire retour dans le réel, la question est bien de savoir sur quels déterminants agir…

Les enquêtes ne manquent pas pour tenter de rendre compte de ce qui est à l’œuvre dans la dégradation de la santé au travail qui est avant toute chose une dégradation du travail lui-même. Mais de quoi s’agit-il ? De l’intensification du travail ? De l’absence de reconnaissance ? D’un excès d’individualisation (des objectifs, des parts variables de rémunération…) ? D’une déshumanisation des modes d’organisation ? D’un repli des relations ? Il sera probablement difficile d’identifier une cause unique ou principale même si l’hypothèse dominante tend à poser que l’accroissement du stress professionnel résulte des méthodes managériales contemporaines qui viennent annihiler les dimensions collectives du travail. Or, une autre hypothèse se fait jour, le stress deviendrait pathologique lorsqu’il y a absence de management… tout particulièrement de proximité. Les conclusions auxquelles sont parvenues les chercheurs de l’ANR sont tout à fait intéressantes au regard des perspectives qu’elles ouvrent en redéfinissant ainsi la fonction essentielle tenue par le management de proximité. La prévalence de la gestion ne fait guère de doute : les directions sont prisonnières de logiques contradictoires (l’actionnaire, les stratégies de court et moyen termes, le client…), la mise en tension des flux (de production notamment), le développement parfois délirant des outils de contrôle. Pour autant qu’ils en aient les moyens, les managers de proximité pourraient amortir et aménager le poids de ces pressions et contraintes. Ce qui suppose qu’ils aient les ressources : temps, légitimité, soutien, marge de manœuvre pour décider… Là où sont les managers de proximité peuvent avoir lieu les échanges et les débats nécessaires sur l’organisation du travail, ils peuvent ouvrir ces « espaces de parole » indispensables à la respiration de l’entreprise. Car comment imaginer que l’on puisse se passer dans les organisations de travail, d’une discussion qui permettrait de « parler » les enjeux de l’entreprise et des méthodes de travail ? Comment ne pas croire que seuls ces échanges, avec les acteurs concernés, permettraient d’explorer des solutions moins toxiques pour la santé au travail ? Sauf que cette fonction de management de proximité est le plus souvent envisagée comme une courroie de transmission (de la direction) que comme atout et point d’appui pour développer les organisations de travail dans le respect des besoins. Le management de proximité étant mis à contribution dans les incessants déploiements d’outils de gestion, entendons de contrôle, dont in fine il devient garant. Le constat formulé par les chercheurs est clair : là où le management de proximité est défaillant ou inexistant on trouve les situations les plus difficiles voire, les plus dramatiques. Ce constat met en lumière les enjeux fondamentaux liés au management de proximité. Travail, entreprise et société ne peuvent être séparés. Le travail quant à lui, n'a de sens qu'au sein d'un projet collectif qui doit permettre reconnaissance sociale, développement des compétences et revenus. Si ce projet collectif relève de la mission des dirigeants, il leur revient aujourd'hui de repositionner et de soutenir le management de proximité, favoriser l'expression de dialogues critiques dans les équipes afin de « parler le travail ». Il ne s'agit de maintenir le sens même du travail.

Éditorial de Philippe Bigot
février 2010