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Le grand écart…

Quelles entreprises ne souscrivent pas à cette affirmation : « il n’est de richesse que d’hommes » ? Une proposition d’autant plus actuelle qu’elle fut formulée par Jean Bodin au 16ème siècle… . Dans le monde hypermoderne qui est le nôtre, cette phrase a pris les allures d’un mantra ; mais entre le discours et les actes qu’en est-il ?

Le travail humain est la source de toute création de richesse. Une conviction pour certains, une évidence pour d’autres, largement reléguée par la religion de la productivité. Et l’on pense moins à Bodin qu’à Malthus, dès lors que le coût humain du travail est considéré comme obstacle à la création de richesses financières. Qu’il s’agisse d’inventer, de transformer, d’innover et par là, de faire la différence par le truchement d’un avantage concurrentiel, c’est bien le travail humain qui crée la valeur. Ainsi, s’il n’est de richesse que d’hommes, la qualité du travail humain serait alors au cœur des débats et décisions prises dans les lieux de pouvoir tels que les conseils d’administration. Une politique orientée par la richesse de l’homme, le développement des savoir-faire, l’épanouissement des personnes, la création… devrait alors s’imposer dans ce qu’elle porte d’évidence. Or, les observations et études menées par Deloitte (cabinet conseil) relatives à la place occupée par les ressources humaines dans les instances de décision, ne soutiennent pas l’idée, qu’il n’est de richesse que d’hommes. Car si les « DRH » sont largement présents dans les comités de direction, il est bien rare qu’ils s’en trouvent aussi membres du comité d’administration. Les études indiquent qu’ils n’y sont d’ailleurs jamais. Autant dire que la préoccupation qui serait celle de la richesse humaine est aux abonnés absents, où justement, se décident la politique et les orientations à long terme. Certes les rémunérations et autres nominations se discutent en conseil d’administration ; discussions qui ne concernent comme chacun sait que les hauts dirigeants. L’évidence s’expose ainsi : la gouvernance des entreprises (les grandes) souligne le décalage entre les discours sur l’importance de la richesse humaine et les stratégies déployées. Grand écart entre l’affirmation – érigée comme totem – que l’homme et son développement assurent le devenir de la compétitivité et, l’absence de ceux là même, qui dans les lieux de décision seraient en mesure d’incarner le discours sur la richesse humaine (RH). En devenant « non visible » au plus haut niveau, le travail en tant qu’activité réelle se trouve coupé des abstractions financières qui occupent un espace large d’expression, et sur lequel, la gouvernance est aujourd’hui fondée. A décider à partir du chiffre, à chiffrer le monde (à défaut de le déchiffrer…) on en vient à faire disparaitre les hommes et la richesse elle-même. Assurer la place de chaque acteur, favoriser la diversité des points de vue, encourager le débat entre les lignes qu’incarnent les intérêts multiples, réduire et réguler les écarts (toujours inévitables) entre les discours et les actes, restaurer le courage nécessaire à une parole authentique sont autant de conditions pour redonner crédit à la parole publique. Autant de bonnes intentions qui pourraient se nouer au seuil d’une année nouvelle ?

Éditorial de Philippe Bigot
janvier 2016