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D’Uber dans les épinards…

Le phénomène n’est pas nouveau, le nom d’une marque qui devient un verbe, un adjectif et se glisse, en contrebande, dans la langue se transformant dans le même temps, en concept. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec Uber. On parle de travail « ubérisé » ou encore d’ubérisation du marché.

Ainsi sont désignés des services dont l’activité est régulée par des algorithmes et dont le fonctionnement est géré par des plates-formes, des sites et des applications. Ainsi donc, telle personne loue son appartement avec « Airbnb » quand elle a besoin d’argent, une autre fait des livraisons à vélo dans Paris, une autre est chauffeur VTC, un autre encore fait mille petits jobs dénichés sur une plate-forme spécialisée. Tous sont plus ou moins entrepreneurs alors que parallèlement l’entreprise traditionnelle tend à disparaitre de cette configuration. Cette ubérisation inquiète en premier lieu les « petits patrons » (formule en vigueur dans les médias) et artisans « old school » façon chauffeurs de taxi. Car contrairement à Twitter, Google ou Facebook, Uber ne créait pas un usage supplémentaire, il vient se substituer à un marché déjà existant, le tout en s’abstrayant des règles de fonctionnement du marché. Les acteurs sont alors mis dans l’impossibilité de réagir et d’agir, sauf à passer à l’acte. Cette forme de travail complètement dérégulée est diversement appréciée, y compris par les travailleurs eux-mêmes. Lovée dans un storylling enchanteur, cette nouvelle forme d’activité a comme particularité de faire croire à ces travailleurs qu’ils sont libres et indépendants. Qu’ils vont pouvoir travailler à leur gré ; quand ils en ont envie ou encore au besoin. Les formules publicitaires misent sur la fibre entrepreneuriale à une époque où embauche salariale rime avec CDD. « Envie d’entreprendre, devenez chauffeur… » autant de slogans de la marque Uber pour dire à quel point il est formidable d’être indépendant et auto-entrepreneur. Sauf que d’indépendance il n’y en a guère car l’Uber travailleur est pieds et poings liés à la plate-forme ou à l’application qui l’alimente en « job » et, dans le même temps, il ploie en plus sous les contraintes de l’entrepreneur. En somme, les inconvénients de l’entrepreneur ajoutés aux inconvénients d’un lien de subordination qui ne dit pas son nom ; sans les avantages d’aucune de ces formules. Quant à la liberté, elle a un goût de servitude volontaire. Le travail Ubérisé a tous les attributs du travail « low cost » ; on ne peut donc exclure qu’à vouloir mettre d’Uber dans les épinards cela se termine sur un arrière goût de margarine…

Éditorial de Philippe Bigot
mai 2016