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Une éthique, et pas du toc…
« Nul n’est irremplaçable », une phrase que l’on entend chaque jour, dès lors qu’il s’agit de commenter le départ, le remplacement, l’éviction de quelqu’un que ce soit au travail, dans la vie intime, amicale…. La formule, inlassablement répétée, s’est transmise au point de se présenter comme une évidente vérité là où, elle n’est qu’un lieu commun éculé.
En suivant la formule, on comprend vite que n’étant pas « irremplaçables », les personnes sont alors « remplaçables » ou dit autrement, interchangeables. De prime abord, la phrase parait banale, inoffensive ; mais ses effets sont dévastateurs. A saper le principe fondamental de l’irremplaçabilité du sujet, c’est la déshumanisation que l’on sacralise. Qu’on ne s’y trompe pas, être irremplaçable n’a rien à voir avec un refus d’être remplacé, c’est en revanche avoir la conscience aigue que la responsabilité implique une exigence d’irremplaçabilité. A l’heure où les processus de subjectivation au sein de l’État de droit sont plus que jamais fragilisés, il est essentiel que ce dernier ne cède rien sur les principes qui le fonde. Un individu dans un État de droit doit pouvoir « devenir sujet » et trouver des alternatives à l’individualisme forcené érigé comme modèle. L’individualisme éloigne de l’individuation qui est garante de la vitalité de la démocratie. L’enjeu apparait nettement : retisser les liens entre l’individu et le collectif. Le principe de l’irremplaçabilité du sujet est un pilier qui autorise à vivre ensemble, il doit être une revendication sur laquelle ne pas transiger. Car si nous sommes une société d’individus, être un sujet n’est jamais donné a priori. Chaque individu aura son chemin particulier pour y tendre. Il lui appartient de le découvrir au travers des espaces existants ou à venir. Agir, s’impliquer personnellement est aussi une façon de faire vivre l’individuation. Ne faut-il pas oser faire ce que réellement on peut faire ? Devenir irremplaçable, c’est alors former une singularité qui n’est plus sous la tutelle dont elle s’est affranchie. Une façon de lutter contre un nihilisme ambiant est de ne rien lâcher : ni de soi (et donc de son irremplaçabilité) ni du souci des autres, ce qui tend à se rejoindre. Ce n’est qu’au cœur d’un collectif que les sujets peuvent s’affirmer. Reliés et singuliers.
mars 2016