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Attrapez les tous…
Selon les estimations, 45 millions de chasseurs dans le monde traquent depuis le début de l’été les Pokémons qui s’installent dans notre bonne vieille réalité. Vous n’avez pu oublier ces petites créatures japonaises apparues au milieu des années 90, dont le slogan « Attrapez les tous ! » n’a laissé que peu de répits à nombre de collectionneurs. Les voilà de retour produisant une « réalité augmentée » selon la formule consacrée…
Depuis quelques semaines l’application gratuite Pokémon GO met en émoi aussi bien les médias et les réseaux sociaux que les marchés financiers. Avec Pokémon GO, un smartphone utilisant la géolocalisation et la « réalité augmentée » transforme le joueur en un dresseur, à la recherche de créatures virtuelles qui ne sont visibles que sur smartphone. A l’écran une carte permet de localiser les Pokémons. Dès lors qu’une bestiole est débusquée, le joueur scrute l’environnement avec la caméra de son smartphone. La créature apparaît alors sur l’écran sous les traits d’une modélisation incrustée dans la réalité du décor. Capturer des Pokémons implique de se déplacer physiquement. Les créatures sont pour tous disposées au même endroit, ce qui engage les joueurs à explorer les mêmes lieux, à échanger voire à collaborer. La grande nouveauté qui participe du succès de Pokémon GO est que ce jeu fait sortir les gamers de leur tanière. Avec la réalité augmentée, nous assistons à un changement de plan. Jusqu’ici le joueur évoluait sous forme d’avatar dans un monde virtuel mis en scène à l’écran. Il doit désormais se déplacer physiquement afin de débusquer des créatures virtuelles dans le monde réel. La frontière entre les deux scènes, qu’on savait poreuse, tend à littéralement disparaître. Le virtuel, auparavant confiné, prend ses quartiers désormais dans le monde réel. Hasard ou coïncidence…, les liens qui les unissent, le développeur du jeu et Google via son application Googles Maps donnent à Pokémon Go une capacité impressionnante d’aspiration des données. Au point que plusieurs structures, comme des bases militaires ou des établissements sécurisés, ont interdit le jeu pour ne pas laisser capter des informations sensibles. Ce type de collecte massive est loin d’être une nouveauté. Pour s’en convaincre, il suffit à tout utilisateur de smartphone sous Android d’aller sur le service «Google Timeline». Chacun pourra y constater l’archivage de tous ses déplacements depuis des quelques années. Expérience qui permet de prendre la mesure concrète de réalités abstraites s’agissant de données numériques. La « réalité augmentée » permet ce tour de passe-passe qui transforme un aspirateur à data en un jeu bon enfant engageant les interactions sociales. « Le vice appuyé sur le bras du ludique » pour reprendre la formule, ici revue et adaptée, de Châteaubriand. L’enthousiasme est fort et nombre de commentaires n’hésitent pas à qualifier Pokémon GO de programme à contre-courant de l’époque, allant même jusqu’à considérer le jeu comme une véritable « école du regard » qui inviterait le joueur à redécouvrir le monde réel. Attrapez les tous ! dit le slogan qui sait parler au surmoi. Mais à y réfléchir, n’est-ce pas plutôt notre regard qui se fait capturer ?
septembre 2016