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Penser le travail

Depuis de nombreuses années, le terme d’emploi et les questions qu’il entraine à reléguer le travail et ses questions en arrière plan. Or, l’évolution des formes de travail, des modes d’organisation et de management soumis aux impératifs de la gestion ont fait émerger un enjeu : la santé au travail. Malgré les évolutions gagnées au cours des siècles, le travail continue de rendre malade ; de ces maladies dont on ne guérit pas (le cas de l’amiante…). Il peut faire souffrir aussi, de maux psychologiques non détectables dans les analyses biologiques mais dont les effets sont bien réels tout comme les drames vers lesquels ils peuvent mener.

Alors que l’étymologie du mot travail vient ici ou là faire retour dans le réel, la question est bien de savoir sur quels déterminants agir. Les enquêtes ne manquent pas pour tenter de rendre compte de ce qui est à l’œuvre dans la dégradation de la santé au travail. Celle-ci apparait intimement liée à une dégradation du travail lui-même. Mais de quoi s’agit-il ? De l’intensification du travail ? De l’absence de reconnaissance ? D’un excès d’individualisation ? D’une déshumanisation des modes d’organisation ? D’un repli des relations ? D’une disparition du collectif ? Le problème posé est multi-causal quand bien même l’hypothèse dominante le conditionne à l’accroissement du stress professionnel conséquence des méthodes managériales contemporaines. Or, une autre hypothèse se fait jour, le stress deviendrait pathologique lorsqu’il y a absence de management… tout particulièrement de proximité. Les conclusions auxquelles sont parvenues les chercheurs de l’ANR sont tout à fait intéressantes au regard des perspectives qu’elles ouvrent. Ces derniers restaurent la fonction essentielle tenue par le management de proximité. La prévalence de la gestion ne fait guère de doute : les directions sont prisonnières de logiques contradictoires (l’actionnaire, les stratégies de court et moyen termes, le client…), la mise en tension des flux (de production notamment), le développement, parfois délirant, des outils de contrôle. Pour autant qu’ils en aient les moyens, les managers de proximité pourraient amortir et aménager le poids de ces pressions et contraintes. Ce qui suppose qu’ils aient les ressources : temps, légitimité, soutien, marge de manœuvre pour décider… Grâce aux managers de proximité, les échanges et les débats nécessaires sur l’organisation du travail peuvent avoir lieu ; ils peuvent animer ces « espaces de parole » indispensables à la respiration de l’entreprise. Car comment imaginer que l’on puisse se passer dans les organisations de travail, d’une discussion qui permettrait de « parler » le travail ? Comment ne pas croire que seuls ces échanges, avec les acteurs concernés, permettraient d’explorer des solutions moins toxiques pour la santé au travail ? Or cette fonction de management de proximité est le plus souvent envisagée comme une courroie de transmission plutôt que comme atout pour penser et développer les organisations de travail dans le respect des besoins. Le management de proximité étant mis à contribution dans les incessants déploiements d’outils de gestion, entendons de contrôle, dont in fine il devient l’instrument. Le constat formulé par les chercheurs de l’ANR est clair : dès lors que le management de proximité est défaillant ou inexistant se trouvent les situations les plus difficiles voire, les plus dramatiques. Ce constat met en lumière les enjeux fondamentaux liés à la proximité. Travail, entreprise et société forment un ensemble. Le travail quant à lui, n'a de sens qu'au sein d'un projet collectif qui doit permettre reconnaissance sociale, développement des compétences et revenus. Si ce projet collectif relève de la mission des dirigeants, il leur revient aujourd'hui de repositionner et de soutenir le management de proximité. Il ne s'agit que de maintenir le sens même du travail. Rien de moins.

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2016