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Pointer plus pour gagner plus...

Il est des slogans que d’aucun ne se lasse pas de répéter, un peu comme un vieux vinyl usé bégayant sa rengaine. Aussi, sauf a être un inconditionnel de la boule Quiès, impossible d’avoir manqué l’incontournable « travailler plus pour gagner plus ».

Sur le fond, autant dire que l’idée est « révolutionnaire ». La carotte et le bâton dont relève ce principe ayant tous les apparats du bon sens et de la logique. Sur le plan idéologique, c’est irréprochable ! Le postulat est quelque peu conservateur : les « gens » n’aiment pas le travail (les cigales de la fable), l’effort, il faut donc les encourager (entendez les contraindre). On le voit donc au premier coup d’œil, une telle idée nous enracine pleinement dans le XXIème siècle… ! Et, pour aller un peu plus loin et souligner le propos, il nous faut questionner les « effets systémiques » de ce principe, à partir d’un vieux concept : la causalité circulaire. Rappelons le contexte : c’est l’été, le français moyen se vautre dans l’oisiveté durant ses congés payés, et « Ray Ban » connait un nouveau succès commercial… Dans le même temps, les députés, au pas de charge, votent une nouvelle loi - dont la France a le secret - pour mettre en œuvre le « travailler plus pour gagner plus ». C’est ici que la causalité circulaire pointe le bout de son nez. Le texte adopté sur les heures supplémentaires est incompréhensible de l’avis unanime des spécialistes. Les services de l’inspection du travail mènent une chasse aux tricheurs : l’employeur serait potentiellement suspect de créer des « heures sup » fictives pour déguiser avantageusement des augmentations de salaires – fiscalité en moins. La charge de la preuve revenant à l’entreprise, celle-ci dans un reflexe défensif doit pouvoir prouver sa bonne foi et la réalité des heures supplémentaires payées. La meilleure façon trouvée par l’entreprise pour prouver les heures effectuées est de réinstaller la bonne vieille pointeuse tombée en désuétude ces dernières décennies… La pointeuse fait son « come back », pointant par sa présence l’a priori de la défiance sur la confiance, pointant le primat de l’infantilisation sur l’autonomie et l’engagement... On croyait la pointeuse destinée au musée et là voilà réintroduite comme « solution ». C’est cela la « causalité circulaire », prendre en compte lors d’une décision, les effets induits par celle-ci… de sorte que les effets prévisibles viennent « en retour » questionner la décision, la modifier, l’affiner…voire l’abandonner lorsque les effets sont désastreux. Il semble que le promoteur du « travailler plus pour gagner plus » qui se présente comme un « pragmatique » soit finalement un idéologue. L’idéologie faisant volontiers l’impasse sur les causalités circulaires, et l’épreuve des faits lorsque ceux-ci la font vaciller. Un cas d’école sur l’a-posture et l’un-posture en somme.

Éditorial de Philippe Bigot
février 2008