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Idéal de transparence

Dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit, leitmotiv bien connu dans les entreprises… La transparence posée comme valeur est un crédo incontournable pour les décideurs et autres acteurs de la scène publique. Alors que le faux est haïssable et le vrai désirable, chacun ne peut que se réjouir à l’idée de plus de transparence dans les discours et actes accordant plus volontiers confiance à qui y prétend. Mais la transparence a sa face cachée lorsqu’elle est érigée en idéologie…

Une certaine idéologie de la norme fait de la transparence l’alpha et l’oméga du bien commun. Le défilé du vice au bras de la vertu pour reprendre la formulation de Chateaubriand… L’idéologie de la transparence implique un « toujours plus de savoir ». En savoir toujours plus sur chacun, faute de tout savoir sur tout le monde. Une armée de techniciens œuvrent à la prédictibilité des comportements humains en donnant à leurs études les apparats de la démarche scientifique. La conviction que la transparence serait désormais rendue possible par des outils performants d’évaluation garants d’un monde meilleur à de quoi donner le frisson…. Aussi l’applique-t-on dans bien des domaines de la vie sociale, de l’entreprise à la rue, en passant par l’hôpital et l’école. Au nom de la transparence et du bien vivre ensemble, quelques savants de l’Inserm avaient imaginé de rendre « transparentes » les conduites pré-délinquantes dès la crèche… Les mêmes souhaitant d’ailleurs que les lumières de la transparence aillent jusqu’aux cabinets et divans des psys. La transparence c’est aussi inviter chacun à se dévoiler et à ôter à la vérité ses derniers voiles. L’intime se montre toujours plus à la télé et sur internet, on s’épanche sans vergogne à la radio. On écoute, on raconte, on s’exhibe, on traque le mensonge ou la révélation. Étrange confessionnal médiatique où au prêtre silencieux et discret s’est substituée la foule téléspectatrice avide et bavarde. On se met au « parler vrai », autant dire la langue de bois. On est enfin soi-même lorsque l’anonymat est rompu… Car la vérité est désormais à la portée du premier venu. Qu’il sache voir et écouter car ici la transparence est réductible au visible… Les dérives du discours qui fonde la transparence ne date pas d’hier. Le film « La vie des autres » rappelle si besoin était que les régimes totalitaires en prônent traditionnellement les bienfaits. On fait un discours neuf avec des mots anciens – et les maux restent les mêmes. Freud nous a appris que « L’Homme n’est pas maitre en sa propre demeure », nous ne pouvons être complétement transparents à nous-mêmes, autant dire que la transparence est une illusion qui ne manque pas d’avenir…

Éditorial de Philippe Bigot
juin 2008