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Du ça dans le surmoi...

Face à la descrimination dans le champ professionnel, l’AFNOR « offre » aujourd’hui une réponse pour trier le grain de l’ivraie, une nouvelle norme et la certification qui va avec. Pour qui en douterait, la politique de la normalisation est en marche construisant par là un monde de prêt à (bien) penser et de prêt à (bien) agir dont l’auditeur AFNOR est le garant…

La charte de la diversité fut il y a près de quatre ans, une initiative intéressante afin de regarder en face ce qu’on appelle pudiquement la « discrimination » face à l’emploi, face à l’évolution professionnelle de certaines personnes. Qui n’a pas connu dans son entourage un cas de discrimination en raison d’un handicap, d’une orientation sexuelle, d’une position sexuée ou d’une origine qu’elle soit sociale ou géographique ? Les étudiants portant un nom venant du continent africain vivent chaque jour la difficulté de s’insérer dans le monde du travail même s’agissant de trouver un stage non rémunéré et même en étant major de promo… Dans ce cas, la discrimination n’est bien entendu rien d’autre qu’un bon vieux racisme qui ne dit plus son nom… Alors, une charte affirmant les principes de la diversité, affirmant que chacun à droit à sa place dans la société est un élément de réponse, de mobilisation indispensable face à la honte que représente la discrimination dans une société développée ayant qui plus est, proclamée et exportée la déclaration des droits de l’Homme. Quelle que soit sa forme et ce sur quoi elle porte, la discrimination ne fait au fond qu’exprimer une norme implicite, norme qui s’impose en restant dans un « non dit ». La discrimination est le visage d’un ensemble de normes implicites précisément parce que pas avoubales voire condamnables… En écartant de l’emploi des personnes porteuses de handicapes, en refusant l’accès à l’entreprise à des personnes aux origines étrangères indépendamment de leurs compétences, en réservant l’accès de certaines fonctions de pouvoir à quelqu’uns comme pour assurer la reproduction des élites, quelles normes indicibles sont ainsi préservées… ? Alors en passant de la charte de la diversité à la norme AFNOR un pas est fait, surtout un glissement. Par la norme et le label, l’état et l’ANDRH qui en sont les promoteurs apportent une réponse simplifiée, de bonne conscience à une question complexe. Passons rapidement sur l’idéologie de la norme qui tend à s’imposer aux sujets vivants que nous sommes, l’idéologie qui vient nous dire dans (presque) tous les domaines de l’existence ce que nous devons penser, faire. Avec la normalisation, dont l’AFNOR est le VRP légal et les auditeurs, les contrôleurs de notre bonne ou mauvaise pratique (et conscience…), nous pouvons alors faire l’économie de la pensée, de la réflexion et du débat. La norme commande, elle est pensée pour nous, il (nous) reste à appliquer. Pour reprendre l’éclairante hypothèse de Freud, « il y a du ça dans le surmoi », façon de dire que la loi, ici la norme, nest pas sans perversion. Instaurer la certification AFNOR qu’il convient d’appliquer à la lettre et que contrôle consciensement l’auditeur qui délivrera le label en question ne prouvra tout simplement pas que le racisme, la discrimination ont reculé ou disparu… Mesurer l’application de la norme ce n’est en rien l’indicateur de consciences qui s’éveillent… L’application de la norme ne garantira rien de ce point de vue. Ce qui est inquiétant avec la politique de la norme, c’est qu’elle ne fait que recouvrir l’espace du débat, du dialogue et pire, de la culture. Les représentations en jeu dans les discriminations doivent se dire pour être débattuent et ainsi combattues. On n’ouvre pas à l’autre, à la différence, à ce qui nous est « étrangé » par le non dit et l’absence de débat. Avec la norme, la question de la discrimination n’est pas résolue, elle est enterrée. La question posée par la discrimination est une question éthique, elle implique une position et une réflexion éthique... La norme, elle, invite au refoulement. N’oublions pas, il y a du ça dans le surmoi… .
Éditorial de Philippe Bigot
octobre 2008