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Que faisons-nous au travail ?

La réponse sans appel vient de l’enquête : 37% du temps de travail est improductif… C’est la conclusion de l’évaluation menée par un cabinet conseil international, « Proudfoot Consulting », dans une dizaine de pays industrialisés. Comprenez bien, des heures par milliers gaspillées, utilisées à autre chose qu’à produire. Et, pour lever toute ambiguité sur sur le message, les auteurs estiment ce « manque à gagner » à hauteur de 6% du produit intérieur brut de notre pays, des millions d’euros en somme…

Il faut nous résigner, cela ne suffit pas d’avoir une bonne productivité mondiale, il faut que chaque seconde soit productive, rentable. Allons rêver un peu de ce monde… Imaginons un monde où la préoccupation de chacun serait la production. Une vie professionnelle dans laquelle nous nous dirons dans notre for intérieur, chaque soir, en ai-je fais assez ? Assurément non… Comment puis-je en faire plus ? Où ai-je gaspillé mon temps aujourd’hui ? Et en passant nos journées au scanner, on s’apercevrait que oui, nous avons gaspillé du temps… rouges de honte, il nous faudra bien reconnaître que nous avons pris du temps ce matin pour saluer les collègues dans les bureaux, et même que nous avons blagué avec eux. Il nous faudra reconnaître aussi le temps perdu autour de la machine à café à échanger sur des généralités, et pire encore, sur nos histoires de vie… Il nous faudra bien admettre que ce qui fait lien social c’est du temps non productif c'est-à-dire de l’inutile parce que non productif. Et cela ne s’arrête pas là. Il y en a parmi nous qui traînent au déjeuner lorsque ce n’est pas en pause cigarette. Songeons à tout ce temps perdu en réunion, lorsqu’on déborde du cadre de la production, que l’on discute du futur, de l’amélioration des fonctionnements, de l’organisation du pot pour le départ en retraite d’un collègue, de la préparation d’un événement sportif dans l’entreprise ou de la fête de Noël où les enfants et les familles prennent le pas sur la production.

Imaginons un monde où tout cela disparaîtrait, un monde 100% productif, sans aucune perte de temps, où chaque seconde serait rentabilisée. Un monde dans lequel l’humain et sa subjectivité, l’humain et ses besoins relationnels, l’humain et ses états d’âme seraient gommés pour éradiquer une fois pour toute « l’improductif »…

Imaginons un monde où l’individu renoncerait à être un sujet, renoncerait à son humanité pour se faire objet. Objet dédié au travail, objet d’un système, objet au service de la production. Un monde où les rapports seraient réduits à ce qui est utile à la production et où définitivement et exclusivement « le sens » serait subordonné à la production. Un monde où la production incarnerait « la statut du commandeur » exigeant un « toujours plus »…

Imaginez ce monde dans lequel avec nostalgie et romantisme on raconterait aux enfants, la belle époque du taylorisme et de l’organisation scientifique du travail… Un monde où l’Homme ne serait  qu’un rouage de la grande mécanique du système économique et de production. 37% du temps de travail improductif… Dommage qu’on ne sache pas qui a commandé « l’étude »… si seulement les conclusions eurent été vraies pour les traders et autres financiers !

Éditorial de Philippe Bigot
novembre 2008