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Œdipe Roi… du business

Durant des mois, la bataille fit rage entre les psychanalystes et Michel Onfray lorsque celui-ci publia son brûlot sur Freud. On croyait déjà tout savoir sur Freud, sur ses petits et grands travers. A la lecture d’Onfray on s’aperçoit, qu’en effet, on savait déjà tout… L’auteur du « crépuscule d’une idole » s’était mis à la tâche, 700 pages durant, pour destituer un Freud pourtant décédé depuis plus de soixante dix ans et pour discréditer son œuvre et les concepts qui en sont fondateurs. Or, en observateur averti du monde, Mr Onfray philosophe, aurait pu voir combien, l’Œdipe freudien, s’épanouit dans le monde du business…

C’est de la gouvernance « made in France », pour l’avoir déchiffrée dont nous parle l’étude du prestigieux cabinet Ernst&Young. Nous savions depuis longtemps « le comment ». Nous savons que la question de la reproduction des élites a été largement élucidée. Aujourd’hui nous savons « le combien » : moins de cent personnes concentrent la majorité des pouvoirs économiques et de décision. Ernst&Young, pour mieux déchiffrer, chiffre les choses précisément : 98% des administrateurs des grandes entreprises multinationales (CAC40) possèdent 43% des postes. Et plus de la moitié de ces administrateurs détient plus de trois mandats dans des conseils d’administration différents. Ce qui veut dire, toujours selon l’étude, que par le jeu des mandats d’administrateurs et de leur cumul, moins d’une trentaine de « patrons » est au commande… et donc que ces derniers se retrouvent presque quotidiennement à siéger dans les instances de gouvernance des entreprises. Résumons : a) un petit nombre de personnes est uni comme les cinq doigts de la main, ils sont dans un « entre-soi » et entendent le rester, faisant ce qu’il faut pour cela ; b) faire partie du clan, en devenir membre suppose soit d’être membre de la famille au sens propre soit d’être issu du sérail, c'est-à-dire issu du même « sang » social, culturel, intellectuel, idéologique… la famille au sens figuré ; c) ce clan fabrique sa loi et l’impose aux autres, leur loi font La Loi. Toutes les caractéristiques de la consanguinité œdipienne sont ici réunies… et elles le sont comme toujours lorsque quelque chose n’est pas à sa place du côté de l’ordre symbolique et de la Loi. Ces tendances à « l’entre-soi », à l’incestueux sont universelles et demandent à être régulées par un cadre, du tiers et la Loi. C’est de cela dont Freud a parlé au travers de son concept d’Œdipe. Aux Etats Unis, ils ne s’y sont pas trompés : là-bas c’est une personne, une fonction, un mandat de trois ans. En termes de symbolique œdipienne, cela veut dire que chacun a son lit. L’étude du cabinet Ernst&Young nous indique que chez nous, dans le monde économique, sur le plan symbolique, on se retrouve à plusieurs à partager les mêmes lits, les mêmes chambres, les mêmes intérêts… Plus d’un siècle après la découverte freudienne, Ernst&Young met en évidence une véritable consanguinité de la gouvernance économique. L’Œdipe de la psychanalyse conserve toute son actualité, elle règne en maître au pays du business. N’en déplaise à Michel Onfray.

Éditorial de Philippe Bigot
juin 2011