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Le jour de la gentillesse…

Le 13 novembre dernier nous avons pu vivre une incomparable expérience d’harmonie humaine avec la « journée mondiale de la gentillesse »… C’est la troisième édition en France lancée par le mensuel « Psychologies ». L’initiative de cette journée vient du Japon qui l’inaugura en 1997. Depuis, « the world kindness mouvement to create a kinder world » a fait des émules, car la gentillesse est bien ce dont le monde a besoin à l’époque de la crise économique, du chômage de masse, de l’appauvrissement des états allant même pour certains à la faillite, du durcissement des rapports sociaux, du « trash » ordinaire…

Déjà, l’année dernière, le tube de l’été mettait la chanteuse Zaz et ses idéaux « alter » à l’honneur. Les paroles de son tube étaient d’une redoutable simplicité. Exprimant de bons sentiments envers ses frères humains, clamant une générosité frisant l’abnégation sur un air bon enfant, Zaz emportait l’adhésion du public avec ces mots dont le message s’entend sans métaphore : « Je veux d’l’amour, d’la joie, d’la bonne humeur. C’n’est pas votre argent qui f’ra mon bonheur. Moi, j’veux crever la main sur le cœur ». Le succès immédiat, la chanson fut élue « chanson de l’été » par TF1… et « chanson originale de l'année » par les victoires de la musique.

La gentillesse semble donc avoir bonne presse. En même temps, il est tout à fait remarquable que les « journées » sont là pour mettre en valeur ce qui est habituellement trop peu considéré. La journée de la femme – qui a elle aussi une dimension mondiale – n’a ainsi de sens que sur fond de lutte pour l’égalité entre les sexes. À l’échelle nationale, il existe également toutes sortes de journées réservées à ceux dont la fragilité exige une attention spéciale : du patrimoine (menacé par la modernité), des gauchers (encore menacés par l’orthodoxie de quelques pédagogues), des secrétaires (menacées par les patrons), des aveugles (menacés par l’indifférence générale), de la sécurité routière (menacée par les chauffards), du dépistage de l’obésité infantile (pour lutter contre la malbouffe)… Bref, cette journée mondiale de la gentillesse a finalement l’avantage de mettre en valeur la méchanceté ordinaire dont nous pouvons nous considérer être les acteurs pour ne pas dire les victimes (l’enfer étant les autres, c’est bien connu…).

Mais l’opération « gentillesse » ne semble pas convaincu tout le monde, loin s’en faut. Ainsi, même en cette journée de drapeau blanc, nos hommes politiques n’ont pas su se prêter au jeu de la gentillesse. Ce même week-end l’un d’eux était comparé à « Babar », à un « capitaine de pédalo » ou encore moqué pour sa « bonhomie peu virile ». Et c’était la journée mondiale de la gentillesse… ça donne une idée des 364 autres jours !

En politique, mieux vaut avoir l’air efficace qu’angélique, et mauvais que charitable si tant est que la bonté, la mollesse et la naïveté, y passent pour des valeurs intrinsèquement liées et très inadéquates au réel en jeu et auquel il s’agit pourtant de faire face. Après les échecs du collectivisme et de l’individualisme à venir à bout du malaise du siècle dernier, la gentillesse n’y prétend ainsi qu’en réponse à l’émergence d’une figure d’un Autre particulièrement méchant et auquel on impute la responsabilité des malheurs du siècle naissant. Plus on exige en effet la tête des « responsables » de nos maux d’un côté, plus l’invitation à se lier gentiment à l’autre, et à vivre-ensemble dans la cité se fait présente… Après un aperçu de ce que fut cette journée de la gentillesse dans un hexagone en campagne et en temps de crise, on a le sentiment qu’un « kindness day » en Syrie, au Yemen, en Iran et à nouveau en Egypte pourrait bien s’avérer être « the ultimate Kindness day » ?

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2011