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De quoi l’outil est-il le nom ?

Nous avons été nombreux (consultants, coachs, drh…) à recevoir avant la trêve estivale une @-publicité vantant les mérites du logiciel FaceKeys distribué par la société Morphologia science of personality. Ce qui nous était proposé : un outil affichant un diagnostic de personnalité fiable à plus de 98% (rien que ça…) et dont les applications sont multiples pour ne pas dire sans limites : coaching, psychologie, chirurgie esthétique… Face à un tel discours, la question se pose de ce que ces outils peuvent véhiculer, et, dans ce cas particulier du symptôme qu’il représente, c’est l’hypothèse qu’il nous reste à démontrer. Alors regardons de plus près.

Il est vrai qu’à la lecture du mail, il ne nous manquait que le son de la voix du vendeur, celui-là même qui sur les marchés appâtent le chaland (souvent avec talent) avec à la clé, démonstrations millimétrées, pour nous faire acheter des accessoires et autres outils improbables pour la cuisine et l’entretien de la maison ! Par delà le marketing « attrape tout » exercé par l’entreprise Morphologia, ce qui nous est proposé n’est peut être pas aussi banal et inoffensif qu’il n’y parait. L’outil diagnostic et sa technique de promotion semblent bien cristalliser quelques symptômes majeurs de notre monde hypermoderne.

Tout d’abord le scientisme de l’argumentation de l’outil FaceKeys. Pour reprendre la formule d’une publicité autrefois célèbre, disons que le scientisme est à la science ce que le « canada dry » est aux boissons alcoolisées. L’outil dit de personnalité est présenté avec des arguments en apparence scientifiques, mais en apparence seulement car il n’y a que des affirmations aussi improbables que non vérifiables ! L’antithèse de la démarche scientifique donc. Et puis, 98% de fiabilité pour un test de personnalité alors que nous savons bien que ce concept est pour le moins fluctuant (une cinquantaine de définition selon Allport…), c’est un peu gros. Mais il parait que plus c’est gros plus ça passe…

Ensuite, le recyclage. Ce que propose cet outil, qui n’est autre qu’un logiciel ayant vocation à « analyser » des photos pour déterminer la personnalité via les traits du visage, c’est le retour de la morphopsychologie grâce aux nouvelles technologies. On pensait la morphopsychologie tombée en désuétude et la voilà faisant son retour sur la scène du business et de la technique. La morphopsychologie (inventée par L. Corman) sent le souffre en raison de ses modalités d’analyse et des fondements sur lesquels elle s’est construite : les travaux de la phrénologie qui prétendait établir des relations entre la forme et les dimensions du crâne, ses manifestations au niveau du visage et le caractère ainsi que les capacités intellectuelles, morales des individus. On recherchait alors les organes du courage, de la ruse, du vol, de la mémoire (sans parler de la bosse des maths !), de la bonté, de l’athéisme ou du meurtre dans les formations du crâne des personnes. Toujours à partir des crânes et formes de visage, on justifiait également l’intelligence supérieure des européens par rapport à celle des "nègres" par la mesure de "l’angle de Camper". Tout ceci a servi de fondements scientifiques aux dérives idéologiques et thèses d’Arthur de Gobineau (inégalité des races) qui a forgé le mythe aryen repris par qui ont sait… Voici rapidement résumé ce qu’est le terreau de la morphopsychologie. Avis aux amateurs…

Ces deux aspects : scientisme et référence implicites à des thèses aussi délirantes que raciales (même travesties) semblent bien faire de cet outil un réel condensé des affres de nos sociétés hypermodernes. Au service de quoi serait donc mis cet « outil » dans une pratique professionnelle ? On voit bien qu’à tracer les sources des méthodes et autres « outils » ceux-ci ne sauraient être neutres. Ils sont nécessairement marqués idéologiquement, et, comme il ne peut en être autrement, il nous faut y regarder de près. De quoi l’outil est-il ne nom ?...

Éditorial de Philippe Bigot
septembre 2011