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Venez comme vous êtes
C’est le slogan publicitaire dont use Mc Donald’s depuis quelques années maintenant. Il ne s’agira pas dans ces lignes de louer les saveurs et vertus alimentaires d’une marque dont on semble s’obstiner toutefois à nommer restaurant ni même de lancer une diatribe sur la « mal bouffe ». En ces temps où les communicants sont rois, et leur science, la communication, à son apogée fût-ce au prix d’une schizophrénie aigüe entre le « dire » et le « faire », arrêtons nous un peu sur les mots présents explicitement ou implicitement dans le slogan. Essayons de nous livrer à un petit exercice de déconstruction…
Voici une injonction très aimable, « venez comme vous êtes ». Nous devrions nous estimer heureux d’être reçus chez Mc Do comme « on » est. Et dans le slogan cela se dit aussi en creux : pas besoin d’être quelqu’un d’autre que soi pour se sustenter chez Mc Do. Fallait y penser. Le slogan a aussi son envers, plus obscur : peut-on venir comme on n’est pas ? Si on suit rigoureusement les termes du slogan, il est alors requis de savoir qui l’on est avant d’entrer chez Mc Do. On voit que l’introspection devient de facto un préalable nécessaire pour consommer du hamburger. Et là, une autre question surgit : saura t-on jamais qui nous sommes ? Et ne nous le cachons pas, une injonction c’est une prescription, on est censé s’y conformer. Alors il faut que je sois moi-même pour aller chez Mc Do et donc que je sache qui je suis afin de pouvoir être vraiment moi-même, c’est exigé. En première analyse, ce slogan nous installe dans une insoluble contradiction malgré le recours à une poignée de mots d’une grande banalité. Alors qu’il y a dans le slogan un envers : venir comme on est versus venir comme on n’est pas, cet envers peut aussi se déplacer sur le lieu. En somme, le slogan induit qu’il y aurait d’autres lieux (disons restaurants par exemple…) qui impliqueraient pour s’y rendre, de modifier ce que l’on est. En y regardant de plus près, Mc Do plaide pour l’authenticité dans son slogan par opposition, en creux, à la sophistication de ces lieux où il faudrait renoncer à être soi. C’est sur ce point, du moins c’est la position développée ici, que le slogan nous « roule dans la farine »... Mc Do sort du bois (idéologique) en glorifiant l’authentique et le simple par opposition au culturel ou à l’intellectuel, condamnables par définition puisqu’il s’agit de suspecter a priori ce qui serait trop « civilisé ». Autant dire que Mc Do lance une attaque frontale à la « sophistication » qui fait notamment d’un restaurant un lieu de culture. A cela, le fast-food oppose et propose l’immédiateté de la pulsion à satisfaire sans ambages et surtout « sans chichi »… Consommation instantanée, satiété immédiate sont envisagées comme plus authentiques c'est-à-dire plus proches de nous, plus proches de notre vérité. Là où le sophistiqué, le culturel nous en éloigneraient. A suivre ce fil on en viendrait presque à croire que le « fast-food » ne serait pas un lieu culturel ! Or ne sont-ils pas une face bien visible d’une certaine conception de la civilisation ? Le message de Mc Do se veut anxiolytique : il porte l’idée d’une vérité humaine déprise des inutiles sophistications de la culture et peut être même de la civilisation. En nous disant « venez comme vous êtes », Mc Do nous dit qu’au-delà de notre diversité (le « comme vous êtes » du slogan) nous serions finalement bien tous les mêmes. Ces « mêmes » tous simples que Mc Do sait si bien comprendre, accepter et accueillir, à défaut de bien les nourrir… Le sens d’« I’m loving it » autre slogan fondateur de la marque, traduit par « c’est tout ce que j’aime » peut dans son ambigüité être entendu comme « je n’aime que ça »… et la boucle est alors bouclée... Déconstruire c’est s’attacher à questionner les discours et leurs « envers », c’est chercher à redéfinir des sens et significations possibles. L’Homme n’est pas seulement un animal social c'est-à-dire doué et doté de la parole, pour reprendre l’affirmation d’Aristote, il est surtout un être de langage. Ainsi le monde dans lequel nous vivons est un monde de langage dans lequel chacun de nous se trouve pris, relié et noué. Certainement peut-on y voir là un enjeu pour les pratiques de l’accompagnement professionnel : permettre de reprendre sa place et de se situer dans le discours ambiant. C’est avec une parole véhiculant des évidences (fausses) en apparence anodines, tel le message de Mc Do, dans un contexte où nous sommes hyper-connectés, bombardés de messages et autres informations que nous pouvons en venir à perdre en vigilance. Venez comme vous êtes… il fallait oser, ils l’ont fait. Alors, frites ou « potatoes » ?
octobre 2011