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Belle parole, parole délivrée…

Autant s’y faire dès maintenant, les « éléments de langage » et autres discours vont fleurir bon train dans la campagne qui se profile… « Eléments de langage » c’est une nouvelle expression, récente, pour désigner un discours organisé, récursif jusqu’à l’obsession, fabriqué à grand renfort de sondages, finalement vidé de ses contenus tant informatifs que subjectifs. Est-ce à dire que l’on se méfie des ressorts et effets de la parole ?

Chez l’être humain, c’est comme cela, ça parle. Et c’est bien là que les choses deviennent aussi passionnantes que complexes. Parler ce n’est pas seulement nommer, rendre compte du réel (ou s’y essayer) c’est aussi, et surtout, fondamentalement, l’interpréter et l’inventer. Ainsi, le langage c’est du sérieux. Il n’y a même pas plus réel que le langage dans la mesure où le monde dans lequel nous vivons est un monde de mots. C'est-à-dire que nos réalités sont des réalités de langage ! Car si chez l’humain ça parle, ça a aussi un besoin vital de produire du sens : le récit en est le moyen privilégié. On peut dire que le récit, les « histoires » que l’on raconte et que l’on se raconte donnent à la vie une dimension de sens qu’ignorent – quant à elles - les autres espèces animales (qui elles ne se savent pas mortelles…). Le sens humain se reconnait à ceci qu’il se construit de récit(s) et d’histoire(s). C’est une façon de dire que notre condition d’être humain à quelque chose à voir avec le statut de la parole, du moins celui qu’on lui ménage. J’entendais récemment un reportage, ça se passe près d’ici, en Grande Bretagne. Les personnes qui viennent solliciter l’aide sociale (pas rare en temps de crise) doivent se soumettre au « détecteur de mensonges » pour l’obtenir… Au moins cela pose les choses sur la valeur et le statut donnés à la parole, et par là, à l’individu. Et dans le même temps, tel ou tel affirme et prétend, à lui seul (même parfois avec quelques autres) dire la vérité. Autant dire que celui là représente un danger certain et que cela souligne la question à laquelle on ne peut que se heurter : celui du statut de la vérité dans la parole. Disons qu’il y a vérité et vérité. Ce n’est ni monolithique ni immuable la vérité ! Et peut être confondons-nous allégrement vérité et exactitude… La parole interprète la réalité dans le mouvement même où elle la dit. Et interpréter la réalité est notre façon, bien humaine, de la construire. Autant dire que, puisque nous avons besoin de fabriquer du sens, nous avons autant besoin de savoir que de croire. Et là, il nous faut nous méfier de nous mêmes… Notre penchant inné, viscéral pour la narrativité (longuement exploité au cours de l’histoire) cherche à se satisfaire - souvent par défaut - des formes nouvelles, on dit maintenant hypermodernes telles que le storytelling. Le storytelling est à la communication ce que « la grosse Bertha » fut à l’artillerie. Il s’agit rien moins que de nous raconter des histoires prétendument vraies, qui nous installent à une certaine place (dans l’histoire racontée) et auxquelles il nous est demandé de nous sentir impliqués, de nous engager (dans l’histoire déjà scénarisée), d’en ressentir les émotions qu’elles agitent. Vue de cette fenêtre, l’année s’annonce bien fournie !

Éditorial de Philippe Bigot
janvier 2012