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Un stéréotype peut en cacher un autre…

Maintenant c’est sûr, étude à l’appui, le monde des entreprises est profondément marqué par les stéréotypes. Des stéréotypes sur les hommes et sur les femmes de surcroit. Incroyable non ? Il fallait en avoir le cœur net. Etude à l’appui et guide pratique en main, maintenant on sait…

Pour ceux qui éprouveraient des difficultés à repérer au quotidien les stéréotypes, IMS-Entreprendre pour la Cité qui a mené l’étude, a publié dernièrement un guide pratique sur les stéréotypes liés au genre en entreprise. En substance, l’étude prétend nous enseigner qu’au travail, les hommes sont faits pour diriger, grâce à leur charisme, leur sens de l'action, leur confiance en eux et leur esprit cartésien. Les femmes, elles, sont davantage à leur place dans des fonctions d'assistance ou d'appui, car elles sont organisées et diplomates, savent écouter, et sont polyvalentes. Après avoir audité 1200 salariés (de grosses entreprises) le verdict tombe : les personnes ont une vision « différentialiste » des rôles selon le genre. Et l’émérite docteur en psychologie sociale qui a piloté l’étude de conclure que l’homme pense et pose la stratégie alors que la femme assiste, planifie et organise. Et oui chers lecteurs, en 2012 on mène encore ce genre d’étude pour en venir à édicter de telles banalités… Mais ce n’est pas fini. Les répondants à l’étude vont plus loin semble t-il (mais nous ne connaissons pas le questionnaire d’entretien… pas plus que la méthode). Selon l’immense majorité des personnes interrogées, les différences d’aptitudes proviendraient des gênes… Donc ce qui fait homme ou femme serait inscrit génétiquement. Les auteurs de l’étude, curieusement, se gardent de tout commentaire sur ce « stéréotype ». Et comme avec cette analyse nous allons de surprise en surprise poursuivons. L’étude dresse le portrait robot du manager idéal : il serait androgyne. Comprenons, il ou elle aurait des compétences androgynes (c'est-à-dire masculine et féminine à la fois). Nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! L’affaire n’est toujours pas réglée pour établir l’unanimité sur ce qu’est une compétence que « patatras » voilà qu’en plus certaines seraient androgynes. L’enquête tire aussi des enseignements « majeurs » dont l’un des plus fameux pour une étude de ce rang : les femmes ont moins d’appétence pour le pouvoir et celles qui en ont seraient plutôt masculines. Fallait oser. Au fond, le plus inquiétant dans tout cela ne tient pas aux stéréotypes sur les rôles sociaux vécus depuis des millénaires et que traduit cette énième étude. Le plus inquiétant tient au fait que les préconisations de l’étude s’appuient sur l’ensemble des « stéréotypes » qu’elle est censée montrer, démontrer, dénoncer. Ainsi, les auteurs pensent qu’il faut valoriser les « compétences androgynes » actant ainsi, au nom de la science psychologique, l’idée même de compétence de genre et pourquoi pas génétique puisqu’il ne reste plus qu’un pas à faire ? Les auteurs préconisent de détecter les « hauts potentiels féminins » en s’appuyant sur des dispositifs particuliers justifiant de cette façon aussi les stéréotypes de genre. Le Medef partenaire de l’étude, par la voix du président de sa très sérieuse commission « respect de l’homme » reconnait qu’il va falloir faire évoluer les mentalités. Ouf. Faute de déconstruire ce qui est pudiquement appelé « stéréotypes » on peut se demander de quelle façon une telle étude sert son objet d’une part et qu’elle en est sa visée d’autre part. Afin que les auteurs d’une telle étude fassent avancer la cause qu’ils tentent de décrire en y apportant –enfin- un peu de fond, nous ne pourrions que leur recommander une assidue lecture des travaux de Michel Foucault, de Simone de Beauvoir et de quelques autres…

Éditorial de Philippe Bigot
décembre 2012