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Joindre l’utile à la transaction

L’utile deviendra t-il le critère étalon de nos savoirs ? L’utile deviendra t-il la boussole devant nous permettre de nous repérer dans un monde complexe ? Et, une façon de faire avec la complexité est de cesser de s’encombrer en simplifiant… le plus possible. C’est bien connu et tellement évident que nous n’y avons pas pensé avant… Pourquoi s’embarrasser du superflu et particulièrement lorsque celui-ci ne vaut rien ou presque sur le marché ?

A quoi sert de savoir un savoir qui ne sert pas concrètement ? A situer l’utilité du savoir du côté de la rentabilité immédiate, de ce qui permet à un individu d’être plus performant, plus rentable et efficace dans ses tâches alors le savoir, la lecture, la culture… ne servent à rien ! Il n’y a pas si longtemps, une énième réforme de l’enseignement proposait de ne pas faire accéder tous les élèves au même niveau de langue. Mais plutôt d’évaluer, à partir du métier auquel ils devaient se destiner (et donc ne plus en changer…), celui qui leur serait nécessaire. C’est ça l’utilitarisme : posséder les savoirs dont on a besoin, et pas plus… Alors les choses deviennent (enfin) simples ! Utilitarisme et culture ne font guère bon ménage comme nous le rappelle le mouvement « d’anti-intellectualisme ». Trop de savoir encombre, il incite à se poser des questions qui détournent de la finalité : la consommation et sa matérialité tant rassurantes… « Je consomme donc je suis » comme cogito du monde moderne. Sauf qu’à réserver les savoirs à quelques uns… n’est pas sans conséquences. Sauf qu’à se polariser sur le savoir utile on s’éloigne de la culture et probablement se rapproche t’on de la nature pour reprendre la thèse de Lévi-Strauss. La culture n’est pas seulement « utile », elle est indispensable. L’humain devant apprendre dès son plus jeune âge à renoncer à nombres d’actes qui pourtant seraient bien plaisants. Soit parce que ces actes sont impossibles, soit parce qu’ils sont interdits. Sublimer est la voie qui ouvre vers la société. Et la culture est notamment du côté de la sublimation. La tragédie antique mettant en scène les conflits et tendances humaines les plus intimes remplissent aussi cette fonction de sublimation (et d’abréaction), au-delà de leur poésie, de leur esthétisme. Une idéologie qui engage une société dans le dénigrement de la culture, de sa culture ne fait que labourer le terrain de la violence. L’anti-intellectualisme qui ambitionne l’a-culture n’est peut-être pas qu’un mouvement qui ferait « réaction », ne se présente t-il pas aussi comme l’avatar d’une idéologie elle-même choix de civilisation ? Et, E.Henriot de nous rappeler que « la culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié ».

Éditorial de Philippe Bigot
novembre 2012