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De quoi le lean management est-il le nom ?

Le lean management fait parler de lui. Il se présente comme une forme nouvelle de management se définissant comme « une approche systémique permettant de tendre vers l'excellence opérationnelle ». Quelles réalités le lean créé t-il au-delà de ses définitions qui font pâlir d’envie n’importe quels managers et actionnaires dans l’entreprise ?
Comme toujours s’agissant d’un modèle de management, il a ses adorateurs et ses opposants. Le débat n’est peut être pas tant d’être pour ou contre que de repérer de quoi le lean est le symptôme.

La nouveauté du lean ne semble pas résider dans sa nature, ses moyens et ses finalités parce qu’il est théorisé depuis plus de quarante ans (c’est le modèle Toyota) et que les ressorts du lean sont même connus depuis bien plus longtemps encore (le taylorisme et le fordisme). La vraie nouveauté tient à sa généralisation, le lean est passé du monde de la production et de l’industrie aux activités de services (banque, informatique, conseil…) au domaine de la santé avec les hôpitaux (privés ou publics). Le fondement du lean est simple : traquer le « gras » (traduction littérale qui a le mérite d’être explicite), faire la chasse aux coûts dont on peut se passer pour satisfaire le client, éradiquer tout espace-temps improductif. Sujet qui revient régulièrement sur le tapis (depuis l’avènement de l’ère industrielle) si l’on en croit des études consacrées à la productivité des entreprises, l’une d’elles (Proudfood, 2004) indiquait que 38% du temps de travail était improductif… La dernière étude en date, du même cabinet, indique que les commerciaux ne passent que 10% de leur temps à la vente active… Les effets de la mise en œuvre du lean semblent faire consensus entre ceux qui le vive (managers de proximité compris), les médecins du travail et les différents acteurs sociaux : une déshumanisation des activités de travail et une perte de lien social consécutives à une augmentation des rythmes, aux contrôles systématiques, aux pertes de sens qu’entrainent la prévalence de la tâche et son exécution, les contraintes multiples qu’induisent les compte-rendu d’activité (pouvant reposer sur des tranches de 15 minutes…), traque et disparition des temps d’échanges informels, normalisation des échanges formels… Les partisans du lean plaident face à ces dérives - difficiles à nier - que la cause de celles-ci tient dans le fait que le lean est mal compris, mal appliqué et surtout qu’il est imposé aux personnes. L’argument ultime réside ici : la mise en œuvre du lean suppose l’adhésion et la coopération totale de tous les acteurs. En résumé, ceux qui vont subir les effets du lean doivent coopérer à sa mise en œuvre. L’idéal étant que le lean soit intériorisé par chacun, bref qu’ils ne fassent qu’un. L’argument n’est pas sans évoquer la servitude librement consentie que dénonçait déjà La Boétie dans son discours daté rappelons le, de 1548. Que l’efficacité du travail, la productivité soit un enjeu majeur dans les entreprises est un fait et que ceci fasse débat et que des actions soient mises en œuvre pour gagner en performance n’est pas en soi nécessairement mauvais et problématique. Mais le lean au travers de ses avatars semble bien poser une question. Sans prétendre répondre définitivement à cette question (de quoi le lean est-il le nom ?) avançons quelques éléments. Le premier est que ce n’est pas dans la recherche de la performance elle-même que ce trouve la dérive mais bien dans la place qui est donnée à l’individu dans cette recherche. Le deuxième est la tentative de faire disparaitre la subjectivité humaine au profit d’une objectivité et rationalité tendues vers la performance donnant l’impression aux personnes de devenir des « robots ». L’individu est ici ravalé à une place d’objet, il devient une ressource parmi d’autres au service de la production et de la performance. Difficile de ne pas y voir là, une source majeure de souffrance. Le troisième est de repérer que dans la compétition économique mondiale, les acteurs possèdent globalement les mêmes outils, les mêmes techniques au service de l’efficacité et que l’atout concurrentiel passe par une nouvelle forme d’implication des personnes dans l’activité, sacrifiant au passage leur subjectivité autant que par l’utilisation de leur capital propre de ressources. L’Homme comme ressource, la fin doit-elle justifier les moyens ?

Éditorial de Philippe Bigot
septembre 2012