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Autisme et business, le prix à payer

Faire de l’autisme et de ses symptômes une compétence monnayable dans l’entreprise. Voici l’idée qu’a eue le père d’un enfant autiste, au Danemark. Ce dernier ne pouvant se résoudre à l’impossible intégration professionnelle de son fils. Entreprenant, il créé en 2004 un cabinet de consulting dénommé « les spécialistes *» pour vendre aux entreprises, sous la forme de missions, les « services » de jeunes autistes. Le cabinet conseil a un slogan : la passion pour le détail…

« Les spécialistes » développent une offre de consulting en services informatiques : traitement de données, base de données, tests de logiciels… La passion pour le chiffre, pour la recherche de l’exactitude, pour le sens du détail, le goût prononcé pour les tâches répétitives c’est ce qu’apportent les autistes, particulièrement ceux atteints du syndrome d’Asperger, aux entreprises qui les emploient pour des missions temporaires par l’entremise du cabinet « les spécialistes ». Différents regards peuvent être portés sur cette activité particulière. Qu’un père veuille un avenir pour son fils (par delà l’autisme), quoi de plus naturel et de compréhensible ? L’approche développé par ce père au travers de la société de consulting « les spécialistes » (qui n’est pas sans rappeler une série tv américaine) peut être qualifiée de pragmatique. Ces personnes autistes ne sont-elles pas mieux dans le monde social et professionnel qu’au fin fond d’une institution spécialisée ? Poser ainsi la question serait déjà y répondre. Dans cette perspective, tous les pays développés disposent de programmes (publics et privés) pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Car dans la médecine psychiatrique à l’heure du D.S.M, l’autisme est un handicap. Mais peut-on parler dans ce cas d’insertion de personnes handicapées ? La particularité de la situation provoquée par le cabinet « les spécialistes » réside en ceci : la pathologie autistique et ses symptômes se font valeur-ajoutée payables en honoraires et plus-value pour l’entreprise. Ce n’est pas la personne présentant un handicap qui est employée mais ses symptômes eux-mêmes transformés en « compétences ». Le sujet est ravalé à ses symptômes lesquels le rende donc « employable ». C’est sans doute sur ce point que le pragmatisme se transforme en utilitarisme et que la boucle se referme parce que l’autisme c’est aussi un sujet qui échoue à advenir. Le témoignage de Temple Grandin (une personne autiste qui a trouvé sa voie et sa voix) est ici plus précieux que jamais. Après le Danemark, la Grande Bretagne, l’Autriche, la Suisse, le cabinet « les spécialistes » s’installe dans de nombreux pays d’Europe. Peut-on faire d’une pathologie un service marchand ? Et qui en paie le prix ?...

* http://specialisterne.com

Éditorial de Philippe Bigot
octobre 2012