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Emotion et plus value…

L’émotion est entrée dans le champ du management. Comme objet d’étude c’est à dire comme potentiel, moyen à développer au service, in fine, d’une performance à renouveler sans cesse. L’émotion qui se gère et sa forme moderne, le QE (quotient émotionnel) dont il convient de tirer le meilleur sont autant de leitmotiv en vigueur dans nombre d’entreprises. Après tout, nous sommes dans l’ère de la gestion…

Nous sommes donc priés de nous gérer dans tous les domaines, cela demande un peu de volonté, on ne passe pas du statut de sujet humain à celui de PME sans quelques efforts. Il faut reconnaitre que l’idéologie ambiante nous aide, par ses encouragements incessants, à devenir d’authentiques entrepreneurs de nous-mêmes. Alors l’émotion comme outil du manager moderne, il n’y avait qu’un pas à franchir. Nous le savons, on n’arrête pas le progrès en marche. Alors de nouveaux outils de mesure se propose d’évaluer (entendons mesurer), notre « quotient émotionnel », nos émotions principales, l’expression de celles-ci… . Sous l’aspect scientifique (mais cela n’a que les apparences) que confèrent tableaux, données chiffrées, courbes graphiques, comparaisons entre personnes, groupes… les outils nous diraient la nature vraie de nos émotions et surtout comment les maîtriser, les modifier – pour ne pas dire les corriger – avec comme finalité, mieux nous adapter pour être efficaces. Car dans le monde moderne, une personne bien portante est une personne adaptée. Inutile d’être devin pour se rendre compte que la société gestionnaire est en train de s’accoquiner avec la religion de l’évaluation et ses deux bras armés : mesure et contrôle. Quelle est donc la finalité qui vise à articuler émotion et efficacité managériale ? Quelle éthique soutien cette visée ? En introduisant ainsi l’émotion dans le champ du management, on touche à l’intime, à l’histoire de la personne. L’émotion par sa nature, sa complexité en fait une des caractéristiques des sujets parlants. Alors quid des limites entre l’intime et le rôle social du manager dans son organisation ? Ouvrir cette boite de Pandore ne peut être sans conséquences tant pour l’écologie des personnes que des organisations. L’émotion c’est du côté du sujet et de l’intime. Le fantasme de l’apprenti sorcier n’est jamais bien loin… N’est-ce pas de violation de l’espace privé à laquelle se livre ainsi « la science managériale » ? D’autant que la possibilité pour les managers de dire non à ce genre de pratiques, est directement assujettie à la nécessité de travailler et au désir, légitime, de progresser dans la hiérarchie professionnelle et sociale… N’y a-t-il pas erreur sur la cible ? A se polariser sur les émotions dans l’entreprise on peut passer à côté des débats sur la cohérence de l’organisation, la cohérence des messages internes, la mise en perspective des logiques contradictoires, la nécessité de construire du sens et souvent de le restaurer… autant de sujets qui ne sont pas sans effets sur les émotions d’ailleurs…

Éditorial de Philippe Bigot
avril 2012