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Le coaching est dans le pré

Après vingt années de développement dans le monde des entreprises, on pouvait penser que le coaching professionnel ait atteint son âge de raison… Et pourtant, Brassens avait vu juste : le temps ne fait rien à l’affaire...

Après les inénarrables coachs en rangement, en amour, en relooking, en amaigrissement, en retraite… Nous assistons désormais à l’arrivée d’une nouvelle génération de « coaching » dont le sens critique et la raison pointent aux abonnés absents.

Le « sheep coaching »en est l’exemple type, abrité et promu dans la formation coaching d'organisation de la prestigieuse H.E.C qui ainsi, y met son estampille…

L’idée du sheep coaching (sheep étant à traduire par mouton) : le coach, ou manager peut apprendre sur « l’instinct grégaire » des groupes humains en travaillant à l’apprentissage de la conduite d’un troupeau… de moutons.

L’inventeur du sheep coaching prend toutefois la précaution de faire savoir qu’il y a des différences de comportements entre le mouton et l’homme. C’est là une excellente nouvelle que de n’être pas mis au niveau d’un simple bovidé herbivore. Pour autant une fois ceci posé, l’inventeur du sheep coaching semble ne plus faire la différence. Alors qu’importe que le mouton ne travaille pas, n’ait pas d’objectifs à atteindre, de factures à payer, de managers à satisfaire, de problèmes de garde d’enfant…

Ainsi donc le troupeau serait à considérer comme une métaphore pourtant les moutons sont bien réels !

L’hypothèse essentielle du sheep coaching repose sur deux idées :

La première affirme qu’être capable de conduire un troupeau de moutons implique pour le coach ou manager d’être en mesure d’accompagner les hommes. L’affirmation tient lieu de démonstration bien entendu.

Confronté aux moutons, le coach doit développer des compétences qu’il pourra ensuite transférer auprès des groupes humains. Cerise sur le gâteau, le coach va beaucoup apprendre, grâce à la relation avec le mouton, sur « qui il est » en tant que coach ou tant que manager.

L’altérité chez le mouton, fallait y penser !!...

Il est aisé d’imaginer à quel point le groupe de coachs apprenants a dû s’amuser avec les moutons de la Bergerie Nationale de Rambouillet, honorifique lieu pour tout savoir du sheep coaching. L’histoire ne dit pas à quel moment les questions soulevées par le sheep coaching ont été posées, travaillées. Il est même possible qu’il ait été pris au pied de la lettre par les participants eux-mêmes…

S’habituer à oublier de penser jusqu’à ce que çà semble naturel est certainement ce qui peut arriver de pire à l’humain. Et pour ce qu’il en est de la pensée, le mouton n’est pas vraiment réputé pour exceller de ce côté-là… Pour l’inventeur et les promoteurs du sheep coaching ces aspects sont secondaires.

La seconde idée fondamentale est l’instinct grégaire.

Tout est là. L’instinct grégaire.

Et comme le dénonçait vivement Nietzsche dans « le Gai Savoir », à une époque où le sheep coaching n’était pas encore de mise ou « tendance », l’instinct grégaire n’est que l’avènement de l’obéissance de l’individu à la masse, de manière aveugle et sans réflexion. De là à penser que le sheep coaching est dans la novlangue managériale en vigueur à HEC une résurgence du panurgisme, il n’y a qu’un petit pas.

Du panurgisme, Rabelais faisait une analyse fine au travers de deux personnages, Panurge (le compagnon de Pantagruel) et Dindenault, un marchand avec lequel il eut maille à partir. Panurge eut donc l’idée pour se venger, d’acheter au marchand un mouton qu’il s’empressa de conduire à la noyade. Il fût alors suivi en toute hâte par le troupeau…

Aussi coaching, management et instinct grégaire forment un ménage, reste à savoir au service de quoi et au bénéfice de qui… Sur ce point et bien d’autres le sheep coaching reste muet.

Nous connaissions déjà la formule coaching et cheval, nous avons maintenant la formule coaching et mouton… L’animal serait-il l’avenir du coach ?

Éditorial de Philippe Bigot
mars 2014