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Glissement de sens…

C’est une évidence : le 1er mail c’est la « fête du travail », un jour férié, chômé et payé qui prend des allures de « pont » selon les opportunités présentées par le calendrier…
Le 1er mai aujourd’hui fête du travail s’origine d’un combat : la durée de la journée de travail.
Le 1er mai s’est « internationalisé » mais pas partout… là où cette journée était combat, elle est devenue fête, là où elle était fête des travailleurs, elle est devenue fête du travail. Quelques glissements sémantiques qui ajoutés à la relativité de la mémoire font perdre le sens…

Le 1er mai, c’est l’histoire de la journée internationale du travail qui commença un 21 avril… 1856 en Australie.

Des travailleurs regroupés dans des collectifs, décident d’une grève de masse pour obtenir que la journée de travail soit de huit heures. Cette grève fut un succès et de nombreux travailleurs obtinrent satisfaction. Ce succès allait se répandre comme une trainée de poudre.

En Octobre 1884, la fédération américaine du travail, l’American Federation of Labour, organisa sa quatrième convention à Chicago. Elle adopta une mention sur la nécessité d’une journée de huit heures de travail. La fédération donna alors un délai de deux ans aux patrons pour redéfinir l’organisation du travail et s’engagea également à ne demander aucune augmentation salariale durant cette période.

Un « donnant-donnant » avant l’heure…

Le « deal » était clairement posé : une fois ce délai de deux ans passé, si cette réforme était refusée par les patrons, la fédération mènerait des grèves de grandes ampleurs jusqu’à l’obtention de leur revendication. De nombreux patrons accédèrent sans conflit à la revendication, d’autres décidèrent de « jouer la montre », peu convaincus par la détermination des travailleurs de s’engager dans un conflit et prêts quoiqu’il en soit, à en découdre...

Face à l’immobilisme des patrons de grandes entreprises, les syndicats décidèrent d’engager la grève à partir du 1er mai.

Pourquoi cette date ?

Parce que le 1er mai ouvrait le début de l’année fiscale en Amérique, les effets symboliques… Le 3 mai 1886 à Chicago, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick. Une marche de protestation a lieu le lendemain et la manifestation se disperse en soirée à Haymarket Square. Il ne reste alors que deux cents manifestants face à autant de policiers. Une bombe explose devant les forces de l'ordre. Elle fait une quinzaine de morts dans les rangs de la police. Trois syndicalistes sont jugés et condamnés à la prison à perpétuité. Cinq autres sont pendus le 11 novembre 1886 (nommé black Friday) et seront réhabilités après plusieurs années …

Pendant que l’exposition universelle de Paris bat son plein en 1889, que la technique et la révolution opérées par l’industrie montrent ses développements, le deuxième congrès de l’Internationale Socialiste, réuni dans le 9ème arrondissement, adopte le 20 juin une motion. Elle fera du 1er mai une journée de grève et de lutte. Adoptée dans de très nombreux pays industriels, cette motion s’inscrit dans les événements du 1er mai à Chicago.

Le traité de paix de 1919 instituera la journée de travail de huit heures et les semaines de quarante huit heures, le 1er mai ouvrira alors ses motifs à d’autres combats. En France - suivant en cela l’exemple de l’Allemagne, c’est le 24 avril 1941 que le 1er mai est institué et désigné comme « fête du travail et de la concorde sociale » par le gouvernement de Pétain. Le 1er mai devient alors un jour chômé. Le signifiant « chômé » vient se substituer à celui de « revendication », concept d’ailleurs interdit par Vichy… Le 30 avril 1947, une loi est promulguée concernant le « 1er mai » et en fait une journée chômée et payée. Une loi qui ne désigne pas le 1er comme « fête du travail »… une appellation d’origine… coutumière.

Le glissement des mots qui se substituent les uns aux autres façonne des réalités diverses, engendre des effets de confusion. Comment penser « fête » et ramener la mémoire d’événements d’une toute autre nature ? Augustin Spies fut l’un des cinq condamnés exécutés lors du black friday. Avant de mettre sa vie dans les mains de son bourreau, il déclara : « le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd'hui »… Comment le 1er mai pourrait-il s’affranchir de la mémoire et de l’histoire qui lui donne tous ses sens ?

Éditorial de Philippe Bigot
mai 2014