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On n’est jamais mieux « selfie » que par soi-même…

Le phénomène de l’autoportrait réalisé avec un smartphone, tenu à bout de bras, connait un succès d’ampleur. Au point que le terme « selfie » a maintenant sa place dans les dictionnaires. Il sera de l’édition 2015 de l’incontournable « Petit Robert ». Lorsque le progrès est en marche, il faut savoir s’incliner….

Alors que la « selfie » autorise d’incomparables odes numériques à soi-même et qu’elle multiplie les miroirs (numériques) dans les chaumières, une rumeur terrible se répandait. L’American Psychiatric Association (APA), en venait à considérer la « selfitis » comme un trouble, devant faire son entrée dans une prochaine version du Diagnostic and Statistical Manual (DSM), à la rubrique des « troubles mentaux ». Quel soulagement d’apprendre que c’était pour de rire. Un de ces canulars qui vous réveillerait les zygomatiques les plus désespérés. La surenchère étant aussi l’un des ressorts des réseaux sociaux, au défi du « selfie » succède la « selfie » du défi. Aux Etats Unis, les lieux et les événements sont supports d’une escalade de « selfies » exhibées sur les réseaux sociaux. A chaque époque ses trophées. Les selfies at funerals rencontrent un succès tout particulier. Imaginez le dispositif : faire sa meilleure « selfie » avant ou pendant des funérailles, puis, la poster à la vitesse du son sur un site dédié, consulté chaque jour par des centaines de milliers de visiteurs. Il y a la « selfie » trash ou la who's who. Qu’on se souvienne de la « selfie » des gouvernants, celle du Président Obama avec le Premier Ministre Britannique et son alter-égo suédoise lors des obsèques de Nelson Mandela. Qu’on se rappelle aussi, la photo de cette « selfie » sur laquelle apparait, en dernier plan, Madame Obama dont l’expression du visage semble indiquer la mesure qu’elle prend de l’événement. Bien d’autres trophées et marques d’un humour très contemporain ont la cote. La « selfie » avec les sans-abris rencontre un vif succès, puisant sa force dans la détresse de celui qui s’y trouve soumis. Peut être faut-il que les « selfistes » et leurs affidés y regardent de près. La soumission n’étant pas exclusivement là où ça rassurerait de penser la trouver. Mais dans un monde où tout va vite, la « selfie » a déjà sa descendance avec la « belfie », qui consiste à prendre - à la dérobée - la photo de postérieurs, et les « underboobs » bien plus technique qui est la photo des dessous de poitrines prises dans les lieux publics.

Que disent ces pratiques de notre monde, des sociétés dans lesquelles nous vivons ?

Exister, pour un mammifère vivant, parlant et se sachant mortel est une question à laquelle, il ne peut se soustraire complètement. L’image, objet marchand d’une certaine presse se transforme pour Monsieur tout-le-monde en image, objet d’existence. S’approprier l’image d’un autre, se montrer en situation particulièrement avantageuse pour laisser sa trace numérique, et faire savoir sur les réseaux sociaux son existence se présente comme un « en-jeu ». Ces outils technologiques viennent rappeler ce réel de la condition humaine là où, le théâtre antique, classique ou encore moderne le mettait en scène, en dépliait les différents aspects et ouvrait à un décryptage de sens. A contrario, la « selfie » et ses avatars semblent remplir leur office : recouvrir méticuleusement toute possibilité de questionnement sur le réel. Mais c’est là un angle de vue…

L’équipe de Convergence vous souhaite une bonne rentrée.

Éditorial de Philippe Bigot
septembre 2014